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SANS FAMILLE

mon maître me posant la main sur l’épaule m’obligea à me retourner.

— La bête, c’est toi, disait-il en riant, regarde donc un peu si tu l’oses.

Son rire, plus encore que ses paroles m’avait rappelé à la raison ; j’osai ouvrir les yeux et suivre la direction de sa main.

L’apparition qui m’avait affolé s’était arrêtée, elle se tenait immobile sur la route.

J’eus encore, je l’avoue, un premier moment de répulsion et d’effroi, mais je n’étais plus au milieu de la lande, Vitalis était là, les chiens m’entouraient, je ne subissais plus l’influence troublante de la solitude et du silence.

Je m’enhardis et je fixai sur elle des yeux plus fermes.

Était-ce une bête ?

Était-ce un homme ?

De l’homme, elle avait le corps, la tête, les bras.

De la bête, une peau velue qui la couvrait entièrement, et deux longues pattes maigres sur lesquelles elle restait posée.

Bien que la nuit se fût épaissie, je distinguais ces détails, car cette grande ombre se dessinait en noir, comme une silhouette, sur le ciel, où de nombreuses étoiles versaient une pâle lumière.

Je serais probablement resté longtemps indécis à tourner et retourner ma question, si mon maître n’avait adressé la parole à mon apparition.

— Pourriez-vous me dire si nous sommes éloignés d’un village ? demanda-t-il.