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SANS FAMILLE

fera rire nous-mêmes un peu. Pour cela, tu te rendras tout seul demain à notre place avec Joli-Cœur ; tu tendras les cordes, tu joueras quelques morceaux de harpe, et quand tu auras autour de toi un public suffisant, et quand l’agent sera arrivé je ferai mon entrée avec les chiens. C’est alors que la comédie commencera.

Il ne me plaisait guère de m’en aller tout seul ainsi préparer notre représentation, mais je commençais à connaître mon maître et à savoir quand je pouvais lui résister ; or il était évident que dans les circonstances présentes je n’avais aucune chance de lui faire abandonner la partie de plaisir sur laquelle il comptait ; je me décidai donc à obéir.

Le lendemain je m’en allai à notre place ordinaire, et tendis mes cordes. J’avais à peine joué quelques mesures, qu’on accourut de tous côtés, et qu’on s’entassa dans l’enceinte que je venais de tracer.

En ces derniers temps, surtout pendant notre séjour à Pau, mon maître m’avait fait travailler la harpe, et je commençais à ne pas trop mal jouer quelques morceaux qu’il m’avait appris. Il y avait entre autres une canzonetta napolitaine que je chantais en m’accompagnant de la harpe et qui me valait toujours des applaudissements.

J’étais déjà artiste par plus d’un côté, et par conséquent disposé à croire, quand notre troupe avait du succès, que c’était à mon talent que ce succès était dû ; cependant ce jour-là j’eus le bon sens de comprendre que ce n’était point pour entendre ma canzonetta qu’on se pressait ainsi dans nos cordes.