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SANS FAMILLE

lieu notre représentation, je vis l’agent donner un soufflet à l’enfant qui m’accompagnait.

— Cet enfant n’est pas à vous ?

— Non, monsieur le Président, mais je l’aime comme s’il était mon fils. Lorsque je le vis frapper, je me laissai entraîner par la colère, je saisis vivement la main de l’agent et l’empêchai de frapper de nouveau.

— Vous avez vous-même frappé l’agent ?

— C’est-à-dire que lorsque celui-ci me mit la main au collet, j’oubliai quel était l’homme qui se jetait sur moi, ou plutôt je ne vis en lui qu’un homme au lieu de voir un agent, et un mouvement instinctif, involontaire, m’a emporté.

— À votre âge, on ne se laisse pas emporter.

— On ne devrait pas se laisser emporter ; malheureusement on ne fait pas toujours ce qu’on doit ; je le sens aujourd’hui.

— Nous allons entendre l’agent.

Celui-ci raconta les faits tels qu’ils s’étaient passés, mais en insistant plus sur la façon dont on s’était moqué de sa personne, de sa voix, de ses gestes, que sur le coup qu’il avait reçu.

Pendant cette déposition, Vitalis, au lieu d’écouter avec attention, regardait de tous côtés dans la salle. Je compris qu’il me cherchait. Alors je me décidai à quitter mon abri, et, me faufilant au milieu des curieux, j’arrivai au premier rang.

Il m’aperçut, et sa figure attristée s’éclaira ; je sentis qu’il était heureux de me voir, et, malgré moi, mes yeux s’emplirent de larmes.