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Page:Malot - Sans famille, 1887, tome 1.djvu/180

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SANS FAMILLE

rien, mais les choses on les voit, et Rémi m’a fait voir le berger avec sa flûte ; quand je levais les yeux en apprenant je ne pensais plus à ce qui m’entourait, je voyais la flûte du berger et j’entendais l’air qu’il jouait. Voulez-vous que je vous chante l’air, maman ?

Et il chanta en anglais une chanson mélancolique.

Cette fois madame Milligan pleurait pour tout de bon, et quand elle se releva, je vis ses larmes sur les joues de son enfant. Alors elle s’approcha de moi et, me prenant la main, elle me la serra si doucement que je me sentis tout ému :

— Vous êtes un bon garçon, me dit-elle.

Si j’ai raconté tout au long ce petit incident, c’est pour faire comprendre le changement qui, à partir de ce jour-là, se fit dans ma position : la veille on m’avait pris comme montreur de bêtes pour amuser, moi, mes chiens et mon singe, un enfant malade ; mais cette leçon me sépara des chiens et du singe, je devins un camarade, presque un ami.

Il faut dire aussi, tout de suite, ce que je ne sus que plus tard, c’est que madame Milligan était désolée de voir que son fils n’apprenait, ou plus justement ne pouvait rien apprendre. Bien qu’il fût malade elle voulait qu’il travaillât, et précisément parce que cette maladie devait être longue, elle voulait dès maintenant donner à son esprit, des habitudes qui lui permissent de réparer le temps perdu, le jour où la guérison serait venue.

Jusque-là, elle avait fort mal réussi : si Arthur n’était point rétif au travail, il l’était absolument à l’attention et à l’application ; il prenait sans résistance