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SANS FAMILLE

Les kilomètres s’ajoutèrent aux kilomètres, les étapes aux étapes ; nous approchâmes de Paris et quand même les bornes plantées le long de la route ne m’en auraient pas averti, je m’en serais aperçu à la circulation qui était devenue plus active, et aussi à la couleur de la neige couvrant le chemin qui était beaucoup plus sale que dans les plaines de la Champagne.

Chose étonnante, au moins pour moi, la campagne ne me parut pas plus belle, les villages ne furent pas autres que ceux que nous avions traversés quelques jours auparavant. J’avais tant de fois entendu parler des merveilles de Paris, que je m’étais naïvement figuré que ces merveilles devaient s’annoncer au loin par quelque chose d’extraordinaire. Je ne savais pas au juste ce que je devais attendre, et n’osais pas le demander, mais enfin j’attendais des prodiges : des arbres d’or, des rues bordées de palais de marbre, et dans ces rues des habitants vêtus d’habits de soie : cela m’eût paru tout naturel.

Si attentif que je fusse à chercher les arbres d’or, je remarquai néanmoins que les gens qui nous rencontraient ne nous regardaient plus : sans doute ils étaient trop pressés pour cela, ou bien ils étaient peut-être habitués à des spectacles autrement douloureux que celui que nous pouvions offrir.

Cela n’était guère rassurant.

Qu’allions-nous faire à Paris ? et surtout dans l’état de misère où nous nous trouvions ?

C’était la question que je me posais avec anxiété et qui bien souvent occupait mon esprit pendant ces longues marches.