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Page:Malot - Sans famille, 1887, tome 1.djvu/255

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SANS FAMILLE

Décidément je ne m’étais pas trompé ; j’allais trouver des arbres d’or.

Vitalis continua :

— À Paris nous allons nous séparer.

Instantanément la nuit se fit, je ne vis plus les arbres d’or.

Je tournai les yeux vers Vitalis. Lui-même me regarda, et la pâleur de mon visage, le tremblement de mes lèvres, lui dirent ce qui se passait en moi.

— Te voilà inquiet, dit-il, peiné aussi je crois bien.

— Nous séparer ! dis-je enfin après que le premier moment du saisissement fut passé.

— Pauvre petit !

Ce mot et surtout le ton dont il fut prononcé me firent monter les larmes aux yeux : il y avait si longtemps que je n’avais entendu une parole de sympathie.

— Ah ! vous êtes bon, m’écriai-je.

— C’est toi qui es bon, un bon garçon, un brave petit cœur. Vois-tu, il y a des moments dans la vie où l’on est disposé à reconnaître ces choses-là et à se laisser attendrir. Quand tout va bien, on suit son chemin sans trop penser à ceux qui vous accompagnent, mais quand tout va mal, quand on se sent dans une mauvaise voie, surtout quand on est vieux, c’est-à-dire sans foi dans le lendemain, on a besoin de s’appuyer sur ceux qui vous entourent et on est heureux de les trouver près de soi. Que moi je m’appuie sur toi, cela te paraît étonnant, n’est-ce pas vrai ? Et pourtant cela est ainsi. Et rien que par cela que tu as les yeux humides en m’écoutant, je me sens soulagé.