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Page:Malot - Sans famille, 1887, tome 1.djvu/272

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SANS FAMILLE

avant de sortir, il met dans la marmite la viande et des légumes, il ferme le couvercle au cadenas, et je n’ai plus qu’à faire bouillir le pot ; je sens l’odeur du bouillon, et c’est tout ; quant à en prendre, vous comprenez que par ce petit tube si étroit c’est impossible. C’est depuis que je suis à la cuisine que je suis devenu si pâle ; l’odeur du bouillon, ça ne nourrit pas, ça augmente la faim, voilà tout. Est-ce que je suis bien pâle ? Comme je ne sors plus, je ne l’entends pas dire, et il n’y a pas de miroir ici.

Je n’étais pas alors un esprit très-expérimenté, cependant je savais qu’il ne faut pas effrayer ceux qui sont malades en leur disant qu’on les trouve malades.

— Vous ne me paraissez pas plus pâle qu’un autre, répondis-je.

— Je vois bien que vous me dites ça pour me rassurer, mais cela me ferait plaisir d’être très-pâle, parce que cela signifierait que je suis très-malade et je voudrais être tout à fait malade.

Je le regardai avec stupéfaction.

— Vous ne me comprenez pas, dit-il, avec un sourire, c’est pourtant bien simple. Quand on est très-malade on vous soigne ou on vous laisse mourir. Si on me laisse mourir ça sera fini, je n’aurai plus faim, je n’aurai plus de coups ; et puis l’on dit que ceux qui sont morts vivent dans le ciel ; alors de dedans le ciel je verrais maman là-bas, au pays, et en parlant au bon Dieu je pourrais peut-être empêcher ma sœur Christina d’être malheureuse : en le priant bien. Si au contraire on me soigne, on m’enverra à l’hôpital et je serais content d’aller à l’hôpital.