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SANS FAMILLE

J’avais l’effroi instinctif de l’hôpital et bien souvent en chemin, quand accablé de fatigue je m’étais senti malaise, je n’avais eu qu’à penser à l’hôpital pour me retrouver aussitôt disposé à marcher ; je fus étonné d’entendre Mattia parler ainsi :

— Si vous saviez comme on est bien à l’hôpital, dit-il, en continuant ; j’y ai déjà été, à Sainte-Eugénie ; il y a là un médecin, un grand blond, qui a toujours du sucre d’orge dans sa poche, c’est du cassé parce que le cassé coûte moins cher, mais il n’en est pas moins bon pour cela : et puis les sœurs vous parlent doucement : « Fais cela, mon petit ; tire la langue, pauvre petit. » Moi j’aime qu’on me parle doucement, ça me donne envie de pleurer ; et quand j’ai envie de pleurer ça me rend tout heureux. C’est bête, n’est-ce pas ? Mais maman me parlait toujours doucement. Les sœurs parlent comme parlait maman, et si ce n’est pas les mêmes paroles, c’est la même musique. Et puis, quand on commence à être mieux, du bon bouillon, du vin. Quand j’ai commencé à me sentir sans forces ici, parce que je ne mangeais pas, j’ai été content ; je me suis dit : « Je vais être malade et Garofoli m’enverra à l’hôpital. » Ah ! bien oui, malade ; assez malade pour souffrir moi-même, mais pas assez pour gêner Garofoli ; alors il m’a gardé. C’est étonnant comme les malheureux ont la vie dure. Par bonheur, Garofoli n’a pas perdu l’habitude de m’administrer des corrections, à moi comme aux autres il faut dire, si bien qu’il y a huit jours il m’a donné un bon coup de bâton sur la tête. Pour cette fois j’espère que l’affaire est dans le sac ; j’ai la tête enflée ; vous voyez bien là