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Page:Malot - Sans famille, 1887, tome 1.djvu/287

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SANS FAMILLE

De temps en temps seulement il reste en arrière pour chercher dans un tas d’ordures s’il ne trouvera pas un os ou une croûte, car la faim lui tenaille aussi l’estomac ; mais les ordures sont prises en un bloc de glace et sa recherche est vaine ; l’oreille basse, il nous rejoint.

Après les grandes rues, des ruelles ; après ces ruelles, d’autres grandes rues ; nous marchons toujours, et les rares passants que nous rencontrons semblent nous regarder avec étonnement : est-ce notre costume, est-ce notre démarche fatiguée qui frappent l’attention ? Les sergents de ville que nous croisons tournent autour de nous et s’arrêtent pour nous suivre de l’œil.

Cependant, sans prononcer une seule parole, Vitalis s’avance courbé en deux ; malgré le froid, sa main brûle la mienne ; il me semble qu’il tremble. Parfois, quand il s’arrête pour s’appuyer une minute sur mon épaule, je sens tout son corps agité d’une secousse convulsive.

D’ordinaire je n’osais pas trop l’interroger, mais cette fois je manquai à ma règle ; j’avais d’ailleurs comme un besoin de lui dire que je l’aimais ou tout au moins que je voulais faire quelque chose pour lui.

— Vous êtes malade ! dis-je dans un moment d’arrêt.

— Je le crains ; en tous cas, je suis fatigué ; ces jours de marche ont été trop longs pour mon âge, et le froid de cette nuit est trop rude pour mon vieux sang ; il m’aurait fallu un bon lit, un souper dans une