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SANS FAMILLE

chambre close et devant un bon feu. Mais tout ça c’est un rêve : en avant, les enfants !

En avant ! nous étions sortis de la ville ou tout au moins des maisons ; et nous marchions tantôt entre une double rangée de murs, tantôt en pleine campagne, nous marchions toujours. Plus de passants, plus de sergents de ville, plus de lanternes ou de becs de gaz ; seulement de temps en temps une fenêtre éclairée çà et là et au-dessus de nos têtes, le ciel d’un bleu sombre avec de rares étoiles. Le vent qui soufflait plus âpre et plus rude nous collait nos vêtements sur le corps : il nous frappait heureusement dans le dos, mais comme l’emmanchure de ma veste était décousue, il entrait par ce trou et me glissait le long du bras, ce qui était loin de me réchauffer.

Bien qu’il fît sombre et que des chemins se croisassent à chaque pas, Vitalis marchait comme un homme qui sait où il va et qui est parfaitement sûr de sa route ; aussi je le suivais sans crainte de nous perdre, n’ayant d’autre inquiétude que celle de savoir si nous n’allions pas arriver enfin à cette carrière.

Mais tout à coup il s’arrêta.

— Vois-tu un bouquet d’arbres ? me dit-il.

— Je ne vois rien.

— Tu ne vois pas une masse noire ?

Je regardai de tous les côtés avant de répondre ; nous devions être au milieu d’une plaine, car mes yeux se perdirent dans des profondeurs sombres sans que rien les arrêtât, ni arbres ni maisons ; le vide autour de nous ; pas d’autre bruit que celui du vent sifflant ras de terre dans les broussailles invisibles.