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SANS FAMILLE

nous avions déjà parcourue. Quelle heure était-il ? Je n’en avais aucune idée. Nous avions marché longtemps, bien longtemps et lentement. Minuit, une heure du matin peut-être. Le ciel était toujours du même bleu sombre, sans lune, avec de rares étoiles qui paraissaient plus petites qu’à l’ordinaire. Le vent, loin de se calmer, avait redoublé de force ; il soulevait des tourbillons de poussière neigeuse sur le bord de la route et nous la fouettait au visage. Les maisons devant lesquelles nous passions étaient closes et sans lumière : il me semblait que si les gens qui dormaient là chaudement dans leurs draps avaient su combien nous avions froid, ils nous auraient ouvert leur porte.

En marchant vite nous aurions pu réagir contre le froid, mais Vitalis n’avançait plus qu’à grand’peine en soufflant ; sa respiration était haute et haletante comme s’il avait couru. Quand je l’interrogeais, il ne me répondait pas, et de la main, lentement, il me faisait signe qu’il ne pouvait pas parler.

De la campagne nous étions revenus en ville, c’est-à-dire que nous marchions entre des murs au haut desquels çà et là se balançait un réverbère avec un bruit de ferraille.

Vitalis s’arrêta : je compris qu’il était à bout.

— Voulez-vous que je frappe à l’une de ces portes ? dis-je.

— Non, on ne nous ouvrirait pas ; ce sont des jardiniers, des maraîchers qui demeurent là ; ils ne se lèvent pas la nuit. Marchons toujours.

Mais il avait plus de volonté que de forces. Après quelques pas il s’arrêta encore.