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SANS FAMILLE

trouvait trop faible pour la supporter, épuisé par une longue suite d’efforts, par les privations et par l’âge.

Eut-il conscience de son état ? Je ne l’ai jamais su. Mais au moment où ayant ramené la paille sur moi, je me serrais contre lui, je sentis qu’il se penchait sur mon visage et qu’il m’embrassait. C’était la seconde fois ; ce fut, hélas ! la dernière.

Un petit froid empêche le sommeil chez les gens qui se mettent au lit en tremblant, un grand froid prolongé frappe d’engourdissement et de stupeur ceux qu’il saisit en plein air. Ce fut là notre cas.

À peine m’étais-je blotti contre Vitalis que je fus anéanti et que mes yeux se fermèrent. Je fis effort pour les ouvrir, et, comme je n’y parvenais pas, je me pinçai le bras fortement ; mais ma peau était insensible, et ce fut à peine si, malgré toute la bonne volonté que j’y mettais, je pus me faire un peu de mal. Cependant la secousse me rendit jusqu’à un certain point la conscience de la vie. Vitalis, le dos appuyé contre la porte, haletait péniblement, par des saccades courtes et rapides. Dans mes jambes, appuyé contre ma poitrine, Capi dormait déjà. Au-dessus de notre tête, le vent soufflait toujours et nous couvrait de brins de paille qui tombaient sur nous comme des feuilles sèches qui se seraient détachées d’un arbre. Dans la rue, personne, près de nous, au loin, tout autour de nous, un silence de mort.

Ce silence me fit peur ; peur de quoi ? je ne m’en rendis pas compte ; mais une peur vague, mêlée d’une tristesse qui m’emplit les yeux de larmes. Il me sembla que j’allais mourir là.