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SANS FAMILLE

mais enfin cela serait toujours quelque chose, et puis c’était du travail.

Un soir le père rentra plus accablé encore que de coutume.

— Les enfants, dit-il, c’est fini.

Je voulus sortir, car je compris qu’il allait se passer quelque chose de grave, et, comme il s’adressait à ses enfants, il me semblait que je ne devais pas écouter.

Mais d’un geste il me retint :

— N’es-tu pas de la famille, dit-il, et quoique tu ne sois pas bien âgé pour entendre ce que j’ai à te dire, tu as déjà été assez éprouvé par le malheur pour le comprendre : les enfants, je vas vous quitter.

Il n’y eut qu’une exclamation, qu’un cri de douleur.

Lise sauta dans ses bras et l’embrassa en pleurant.

— Oh ! vous pensez bien que ce n’est pas volontairement qu’on abandonne des bons enfants comme vous, une chère petite comme Lise.

Et il la serra sur son cœur.

— Mais j’ai été condamné à payer et comme je n’ai pas l’argent, on va tout vendre ici, puis comme ce ne sera pas assez, on me mettra en prison, où je resterai cinq ans ; ne pouvant pas payer avec mon argent je payerai avec mon corps, avec ma liberté.

Nous nous mîmes tous à pleurer.

— Oui, c’est bien triste, dit-il, mais il n’y a pas à aller contre la loi, et c’est la loi ; il paraît qu’autrefois elle était encore plus dure, m’a dit mon avocat, et que quand un débiteur ne pouvait pas payer ses créanciers, ceux-ci avaient le droit de mettre son