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SANS FAMILLE

Dans cette partie de jardin j’avais planté un légume qu’on m’avait donné et qui était presque inconnu dans notre village, — des topinambours. On m’avait dit qu’il produisait des tubercules bien meilleurs que ceux des pommes de terre, car ils avaient le goût de l’artichaut, du navet et plusieurs autres légumes encore. Ces belles promesses m’avaient inspiré l’idée d’une surprise à faire à mère Barberin. Je ne lui disais rien de ce cadeau, je plantais mes tubercules dans mon jardin ; quand ils poussaient des tiges, je lui laissais croire que c’était des fleurs ; puis un beau jour, quand le moment de la maturité était arrivé, je profitais de l’absence de mère Barberin pour arracher mes topinambours, je les faisais cuire moi-même, comment ? je ne savais pas trop, mais mon imagination ne s’inquiétait pas d’un aussi petit détail, et quand mère Barberin rentrait pour souper, je lui servais mon plat.

Qui était bien étonnée ? Mère Barberin.

Qui était bien contente ? Encore mère Barberin.

Car nous avions un nouveau mets pour remplacer nos éternelles pommes de terre, et mère Barberin n’avait plus autant à souffrir de la vente de la pauvre Roussette.

Et l’inventeur de ce nouveau mets, c’était moi, moi Rémi ; j’étais donc utile dans la maison.

Avec un pareil projet dans la tête, on comprend combien je devais être attentif à la levée de mes topinambours ; tous les jours je venais regarder le coin dans lequel je les avais plantés, et il semblait à mon impatience qu’ils ne pousseraient jamais.