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Page:Malot - Sans famille, 1887, tome 1.djvu/96

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SANS FAMILLE

mère Barberin, c’est à elle que je pense, c’est elle que je vois dans notre maison ; et pourtant je ne comprends pas les paroles que vous prononcez, puisqu’elles sont italiennes.

Je lui parlais en le regardant, il me sembla voir ses yeux se mouiller ; alors je m’arrêtai et lui demandai si je le peinais de parler ainsi.

— Non, mon enfant, me dit-il d’une voix émue, tu ne me peines pas, bien au contraire, tu me rappelles ma jeunesse, mon beau temps ; sois tranquille, je t’apprendrai à chanter, et comme tu as du cœur, toi aussi tu feras pleurer et tu seras applaudi, tu verras…

Il s’arrêta tout à coup et je crus comprendre qu’il ne voulait point se laisser aller sur ce sujet. Mais les raisons qui le retenaient, je ne les devinai point. Ce fut plus tard seulement que je les ai connues, beaucoup plus tard, et dans des circonstances douloureuses, terribles pour moi, que je raconterai lorsqu’elles se présenteront au cours de mon récit.

Dès le lendemain, mon maître fit pour la musique, ce qu’il avait déjà fait pour la lecture, c’est-à-dire qu’il recommença à tailler des petits carrés de bois, qu’il grava avec la pointe de son couteau.

Mais cette fois son travail fut plus considérable, car les divers signes nécessaires à la notation de la musique offrent des combinaisons plus compliquées que l’alphabet.

Afin d’alléger mes poches, il utilisa les deux faces de ses carrés de bois, et après les avoir rayés toutes deux de cinq lignes qui représentaient la portée, il