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SANS FAMILLE

À l’exception du magister qui cachait ses sentiments et de Carrory qui ne sentait pas grand’chose, nous ne parlions plus de délivrance, et c’étaient toujours les mots de mort et d’abandon qui du cœur nous montaient aux lèvres.

— Tu as beau dire, magister, les bennes ne tireront jamais assez d’eau.

— Je vous ai pourtant déjà fait le calcul plus de vingt fois ; un peu de patience.

— Ce n’est pas le calcul qui nous tirera d’ici.

Cette réflexion était de Pagès.

— Qui alors ?

— Le bon Dieu.

— Possible ; puisque c’est lui qui nous y a mis, répliqua le magister, il peut bien nous en tirer.

— Lui et la sainte Vierge ; c’est sur eux que je compte et pas sur les ingénieurs. Tout à l’heure en priant la sainte Vierge, j’ai senti comme un souffle à l’oreille et une voix qui me disait : « Si tu veux vivre en bon chrétien à l’avenir, tu seras sauvé. » Et j’ai promis.

— Est-il bête avec sa sainte Vierge, s’écria Bergounhoux en se soulevant.

Pagès était catholique, Bergounhoux était calviniste ; si la sainte Vierge a toute puissance pour des catholiques elle n’est rien pour les calvinistes, qui ne la reconnaissent point, pas plus qu’ils ne reconnaissent les autres intermédiaires qui se placent entre Dieu et l’homme, le pape, les saints et les anges.

Dans tout autre pays l’observation de Pagès n’eût pas soulevé de discussion, mais en pleines Cévennes,