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SANS FAMILLE

aiguisait sur ses morceaux de bottes, ne m’inspiraient aucune confiance.

Sans doute, ces craintes étaient folles ; mais dans la situation où nous étions, ce n’était pas la sage et froide raison qui dirigeait notre esprit ou notre imagination.

Ce qui augmentait encore nos terreurs, c’était l’absence de lumière. Successivement, nos lampes étaient arrivées à la fin de leur huile. Et lorsqu’il n’en était plus resté que deux, le magister avait décidé qu’elles ne seraient allumées que dans les circonstances où la lumière serait indispensable. Nous passions donc maintenant tout notre temps dans l’obscurité.

Non-seulement cela était lugubre, mais encore cela était dangereux, car si nous faisions un mouvement maladroit, nous pouvions rouler dans l’eau.

Depuis la mort de Compayrou nous n’étions plus que trois sur chaque palier et cela nous donnait un peu plus de place : l’oncle Gaspard était à un coin, le magister à un autre et moi au milieu d’eux.

À un certain moment, comme je sommeillais à moitié, je fus tout surpris d’entendre le magister parler à mi-voix comme s’il rêvait haut.

Je m’éveillai et j’écoutai.

— Il y a des nuages, disait-il, c’est une belle chose que les nuages. Il y a des gens qui ne les aiment pas ; moi je les aime. Ah ! ah ! nous aurons du vent, tant mieux, j’aime aussi le vent.

Rêvait-il ? Je le secouai par le bras, mais il continua :

— Si vous voulez me donner une omelette de six œufs, non de huit ; mettez-en douze, je la mangerai bien en rentrant.