Page:Malot - Sans famille, 1887, tome 2.djvu/130

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
122
SANS FAMILLE

— L’entendez-vous, oncle Gaspard ?

— Oui, il rêve.

— Mais non, il est éveillé.

— Il dit des bêtises.

— Je vous assure qu’il est éveillé.

— Hé ! magister ?

— Tu veux venir souper avec moi, Gaspard ? Viens, seulement je t’annonce un grand vent.

— Il perd la tête, dit l’oncle Gaspard ; c’est la faim et la fièvre.

— Non, il est mort, dit Bergounhoux, c’est son âme qui parle ; vous voyez bien qu’il est ailleurs. Où est le vent, magister, est-ce le mistral ?

— Il n’y a pas de mistral dans les enfers, s’écria Pagès, et le magister est aux enfers ; tu ne voulais pas me croire quand je te disais que tu irais.

Qui les prenait donc, avaient-ils tous perdu la raison ? Devenaient-ils fous ? Mais alors ils allaient se battre, se tuer. Que faire ?

— Voulez-vous boire, magister ?

— Non, merci, je boirai en mangeant mon omelette.

Pendant assez longtemps ils parlèrent tous les trois ensemble sans se répondre, et, au milieu de leurs paroles incohérentes, revenaient toujours les mots « manger, sortir, ciel, vent. »

Tout à coup l’idée me vint d’allumer la lampe. Elle était posée à côté du magister avec les allumettes, je la pris.

À peine eut-elle jeté sa flamme qu’ils se turent.

Puis après un moment de silence ils demandèrent ce