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Page:Malot - Sans famille, 1887, tome 2.djvu/155

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SANS FAMILLE

— Tu es un trop bon garçon, lui dis-je, mon argent est ton argent, puisque tu le gagnes comme moi, mieux que moi, bien souvent ; tu prendras autant de leçons que tu voudras, et je les prendrai avec toi.

Puis j’ajoutai bravement cet aveu de mon ignorance :

— Comme cela je pourrai, moi aussi, apprendre ce que je ne sais pas.

Le maître, le vrai maître qu’il nous fallait, ce n’était pas un ménétrier de village, mais un artiste, un grand artiste, comme on en trouve seulement dans les villes importantes. La carte me disait qu’avant d’arriver à Clermont, la ville la plus importante qui se trouvait sur notre route était Mende. Mende était-elle vraiment une ville importante, c’était ce que je ne savais pas, mais comme le caractère dans lequel son nom était écrit sur la carte lui donnait cette importance, je ne pouvais que croire ma carte.

Il fut donc décidé que ce serait à Mende que nous ferions la grosse dépense d’une leçon de musique ; car bien que nos recettes fussent plus que médiocres dans ces tristes montagnes de la Lozère, où les villages sont rares et pauvres, je ne voulais pas retarder davantage la joie de Mattia.

Après avoir traversé dans toute son étendue le causse Méjean, qui est bien le pays le plus désolé et le plus misérable du monde, sans bois, sans eaux, sans cultures, sans villages, sans habitants, sans rien de ce qui est la vie, mais avec d’immenses et mornes solitudes qui ne peuvent avoir de charmes que pour ceux qui les parcourent rapidement en voiture, nous arrivâmes enfin à Mende.