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Page:Malot - Sans famille, 1887, tome 2.djvu/183

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SANS FAMILLE

ques mots on lui conta notre affaire, et comme elle ne lui parut pas nette, il déclara qu’il allait mettre notre vache en fourrière et nous en prison : on verrait plus tard.

Je voulus protester, Mattia voulut parler, le gendarme nous imposa durement silence ; et me rappelant la scène de Vitalis avec l’agent de police de Toulouse, je dis à Mattia de se taire et de suivre monsieur le gendarme.

Tout le village nous fit cortège jusqu’à la mairie où se trouvait la prison : on nous entourait, on nous pressait, on nous poussait, on nous bourrait, on nous injuriait, et je crois bien que sans le gendarme, qui nous protégeait, on nous aurait lapidés comme si nous étions de grands coupables, des assassins ou des incendiaires. Et cependant nous n’avions commis aucun crime. Mais les foules sont souvent ainsi, elles ont un plaisir sauvage à se ruer sur les malheureux, sans savoir ce qu’ils ont fait, s’ils sont coupables ou innocents.

En arrivant à la prison, j’eus un moment d’espérance : le gardien de la mairie qui était aussi geôlier et garde champêtre, ne voulut pas tout d’abord nous recevoir. Je me dis que c’était là un brave homme. Mais le gendarme insista, et le geôlier céda ; passant devant nous, il ouvrit une porte qui fermait en dehors avec une grosse serrure et deux verrous : je vis alors pourquoi il avait fait difficulté pour nous recevoir tout d’abord : c’était parce qu’il avait mis sa provision d’oignons sécher dans la prison, en les étalant sur le plancher. On nous fouilla ; on nous prit notre argent,