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Page:Malot - Sans famille, 1887, tome 2.djvu/207

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SANS FAMILLE

comme il se brûlait, de temps en temps il levait une patte, tantôt l’une, tantôt l’autre, avec un petit cri ; la violente clarté de la flamme pénétrait jusque dans les coins les plus sombres et je voyais danser les personnages peints sur les rideaux d’indienne du lit, qui si souvent dans mon enfance m’avaient fait peur la nuit, lorsque je m’éveillais par un beau clair de lune.

Mère Barberin mit la poêle au feu, et ayant pris un morceau de beurre au bout de son couteau elle le fit glisser dans la poêle, où il fondit aussitôt.

— Ça sent bon, s’écria Mattia qui se tenait le nez au-dessus du feu sans peur de se brûler.

Le beurre commença à grésiller :

— Il chante, cria Mattia, oh ! il faut que je l’accompagne.

Pour Mattia tout devait se faire en musique ; il prit son violon et doucement en sourdine il se mit à plaquer des accords sur la chanson de la poêle, ce qui fit rire mère Barberin aux éclats.

Mais le moment était trop solennel pour s’abandonner à une gaieté intempestive, avec la cuiller à pot mère Barberin a plongé dans la terrine d’où elle retire la pâte qui coule en longs fils blancs ; elle verse la pâte dans la poêle, et le beurre qui se retire devant cette blanche inondation la frange d’un cercle roux.

À mon tour, je me penche en avant : mère Barberin donne une tape sur la queue de la poêle, puis d’un coup de main elle fait sauter la crêpe au grand effroi de Mattia ; mais il n’y a rien à craindre ; après avoir été faire une courte promenade dans la cheminée, la