Aller au contenu

Page:Malot - Sans famille, 1887, tome 2.djvu/208

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
200
SANS FAMILLE

crêpe retombe dans la poêle sens dessus dessous, montrant sa face rissolée.

Je n’ai que le temps de prendre une assiette et la crêpe glisse dedans.

Elle est pour Mattia qui se brûle les doigts, les lèvres, la langue et le gosier ; mais qu’importe, il ne pense pas à sa brûlure.

— Ah ! que c’est bon ! dit-il la bouche pleine.

C’est à mon tour de tendre mon assiette et de me brûler ; mais, pas plus que Mattia je ne pense à la brûlure.

La troisième crêpe est rissolée, et Mattia avance la main, mais Capi pousse un formidable jappement ; il réclame son tour, et comme c’est justice, Mattia lui offre la crêpe au grand scandale de mère Barberin, qui a pour les bêtes l’indifférence des gens de la campagne, et qui ne comprend pas qu’on donne à un chien « un manger de chrétien. » Pour la calmer, je lui explique que Capi est un savant, et que d’ailleurs il a gagné une part de la vache ; et puis, c’est notre camarade, il doit donc manger comme nous, avec nous, puisqu’elle a déclaré qu’elle ne toucherait pas aux crêpes avant que notre terrible faim ne soit calmée.

Il fallut longtemps avant que cette faim et surtout notre gourmandise fussent satisfaites ; cependant il arriva un moment où nous déclarâmes, d’un commun accord, que nous ne mangerions plus une seule crêpe avant que mère Barberin en eût mangé quelques-unes.

Et alors, ce fut à notre tour de vouloir faire les crêpes nous-mêmes : au mien d’abord, à celui de Mattia en-