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SANS FAMILLE

mère, frères, sœurs ; en quelques minutes, j’avais vécu avec ceux que je ne connaissais pas encore et que j’avais vus en ce moment pour la première fois ; chose curieuse, Mattia, Lise, mère Barberin, madame Milligan, Arthur, étaient de ma famille, et mon père était Vitalis, il était ressuscité, et il était très-riche ; pendant que nous avions été séparés, il avait eu le temps de retrouver Zerbino et Dolce, qui n’avaient pas été mangés par les loups, comme nous l’avions cru.

Il n’est personne, je crois, qui n’ait eu de ces hallucinations où, dans un court espace de temps, on vit des années entières et où l’on parcourt bien souvent d’incommensurables distances ; tout le monde sait comme, au réveil, subsistent fortes et vivaces les sensations qu’on a éprouvées.

Je revis en m’éveillant tous ceux dont je venais de rêver, comme si j’avais passé la soirée avec eux, et tout naturellement il me fut bien impossible de me rendormir.

Peu à peu cependant les sensations de l’hallucination perdirent de leur intensité, mais la réalité s’imposa à mon esprit pour me tenir encore bien mieux éveillé.

Ma famille me cherchait, mais pour la retrouver c’était à Barberin que je devais m’adresser.

Cette pensée seule suffisait pour assombrir ma joie ; j’aurais voulu que Barberin ne fût pas mêlé à mon bonheur. Je n’avais pas oublié ses paroles à Vitalis lorsqu’il m’avait vendu à celui-ci, et bien souvent je me les étais répétées : « Il y aura du profit pour ceux qui auront élevé cet enfant : si je n’avais pas compté