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SANS FAMILLE

— Oh ! oui, bien sûr.

— Alors pourquoi ne serais-tu pas le frère de mes frères et de mes sœurs si j’en ai ?

— Parce que ce n’est pas la même chose, pas du tout, pas du tout.

— En quoi donc ?

— Je n’ai pas été emmailloté dans des beaux langes, moi, dit Mattia.

— Qu’est-ce que cela fait ?

— Cela fait beaucoup, cela fait tout, tu le sais comme moi. Tu serais venu à Lucca, et je vois bien maintenant que tu n’y viendras jamais ; tu aurais été reçu par des pauvres gens, mes parents, qui n’auraient eu rien à te reprocher, puisqu’ils auraient été plus pauvres que toi. Mais si les beaux langes disent vrai, comme le pense mère Barberin et comme cela doit être, tes parents sont riches ; ils sont peut-être des personnages ! Alors comment veux-tu qu’ils accueillent un pauvre petit misérable comme moi ?

— Que suis-je donc moi-même, si ce n’est un misérable ?

— Présentement, mais demain tu seras leur fils, et moi je serai toujours le misérable que je suis aujourd’hui ; on t’enverra au collège : on te donnera des maîtres, et moi je n’aurai qu’à continuer ma route tout seul, en me souvenant de toi, comme, je l’espère, tu te souviendras de moi aussi.

— Oh ! mon cher Mattia, comment peux-tu parler ainsi ?

— Je parle comme je pense, o mio caro, et voilà pourquoi je ne peux pas être joyeux de ta joie : pour cela,