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Page:Malot - Sans famille, 1887, tome 2.djvu/23

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SANS FAMILLE

— M’enrôler dans votre troupe.

Alors la sincérité me revint.

— Mais voilà toute ma troupe, dis-je en montrant Capi.

— Eh bien ? qu’importe, nous serons deux. Ah ! je vous en prie, ne m’abandonnez pas ; que voulez-vous que je devienne ? il ne me reste qu’à mourir de faim.

Mourir de faim ! Tous ceux qui entendent ce cri ne le comprennent pas de la même manière et ne le perçoivent pas à la même place. Moi ce fut au cœur qu’il me résonna : je savais ce que c’était que de mourir de faim.

— Je sais travailler, continua Mattia ; d’abord je joue du violon, et puis je me disloque, je danse à la corde, je passe dans les cerceaux, je chante ; vous verrez, je ferai ce que vous voudrez, je serai votre domestique, je vous obéirai, je ne vous demande pas d’argent, la nourriture seulement ; si je fais mal vous me battrez, ça sera convenu ; tout ce que je vous demande c’est que vous ne me battiez pas sur la tête, ça aussi sera convenu, parce que j’ai la tête trop sensible depuis que Garofoli m’a tant frappé dessus.

En entendant le pauvre Mattia parler ainsi j’avais envie de pleurer. Comment lui dire que je ne pouvais pas le prendre dans ma troupe ? Mourir de faim ! Mais avec moi n’avait-il pas autant de chances de mourir faim que tout seul ?

Ce fut ce que je lui expliquai ; mais il ne voulut pas m’entendre.

— Non, dit-il, à deux on ne meurt pas de faim, on se soutient, on s’aide, celui qui a donne à celui qui n’a pas.