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Page:Malot - Sans famille, 1887, tome 2.djvu/247

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SANS FAMILLE

de moi : alors ils appelèrent l’enfant, qui lâchant sa petite voiture, courut à eux, les bras ouverts ; le père le reçut, puis l’ayant embrassé dans les cheveux, avec de gros baisers qui sonnèrent, il le passa à la mère qui à son tour l’embrassa à plusieurs reprises, à la même place et de la même manière, pendant que l’enfant riait aux éclats, en tapotant les joues de ses parents avec ses petites mains grasses à fossettes.

Alors, voyant cela, ce bonheur des parents et cette joie de l’enfant, malgré moi, je laissai couler mes larmes ; je n’avais pas été embrassé ainsi ; maintenant m’était-il permis d’espérer que je le serais jamais ?

Une idée me vint ; je pris ma harpe et me mis à jouer tout doucement une valse pour l’enfant qui marqua la mesure avec ses petits pieds. Le monsieur s’approcha de moi, et me tendit une petite pièce blanche ; mais poliment je la repoussai.

— Non, monsieur, je vous en prie, donnez-moi la joie d’avoir fait plaisir à votre enfant, qui est si joli.

Il me regarda alors avec attention ; mais à ce moment survint un gardien, qui malgré les protestations du monsieur, m’enjoignit de sortir au plus vite, si je ne voulais pas être mis en prison pour avoir joué dans le jardin.

Je repassai la bretelle de ma harpe sur mon épaule, et je m’en allai en tournant souvent la tête pour regarder le monsieur et la dame, qui fixaient sur moi leurs yeux attendris.

Comme il n’était pas encore l’heure de me rendre sur le pont de l’Archevêché pour retrouver Mattia, j’errai sur les quais en regardant la rivière couler.