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Page:Malot - Sans famille, 1887, tome 2.djvu/262

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SANS FAMILLE

avions bien souvent parlé de la mer et je lui avais toujours dit que c’était la plus belle chose qu’on pût voir ; je soutins mon opinion.

— Tu as peut-être raison quand la mer est bleue comme tu racontes que tu l’as vue à Cette, dit Mattia, mais quand elle est comme cette mer, toute jaune et verte avec un ciel gris, et, de gros nuages sombres, c’est laid, très-laid, et ça ne donne pas envie d’aller dessus.

Nous étions le plus souvent d’accord, Mattia et moi, ou bien il acceptait mon sentiment, ou bien je partageais le sien, mais cette fois je persistai dans mon idée, et je déclarai même que cette mer verte, avec ses profondeurs vaporeuses et ses gros nuages que le vent poussait confusément, était bien plus belle qu’une mer bleue sous un ciel bleu.

— C’est parce que tu es Anglais que tu dis cela, répliqua Mattia, et tu aimes cette vilaine mer parce qu’elle est celle de ton pays.

Le bateau de Londres partait le lendemain à quatre heures du matin ; à trois heures et demie nous étions à bord et nous nous installions de notre mieux, à l’abri d’un amas de caisses qui nous protégeaient un peu contre une bise du nord humide et froide.

À la lueur de quelques lanternes fumeuses, nous vîmes charger le navire : les poulies grinçaient, les caisses qu’on descendait dans la cale craquaient et les matelots, de temps en temps, lançaient quelques mots avec un accent rauque ; mais ce qui dominait le tapage, c’était le bruissement de la vapeur qui s’échappait de la machine en petits flocons blancs. Une cloche