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Page:Malot - Sans famille, 1887, tome 2.djvu/261

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SANS FAMILLE

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Tout en marchant, Mattia m’apprenait des mots anglais, car j’étais fortement préoccupé par une question qui m’empêchait de me livrer à la joie : mes parents comprendraient-ils le français ou l’italien ? Comment nous entendre s’ils ne parlaient que l’anglais ? Comme cela nous gênerait ! Que dirais-je à mes frères et à mes sœurs, si j’en avais ? Ne resterais-je point un étranger à leurs yeux tant que je ne pourrais m’entretenir avec eux ? Quand j’avais pensé à mon retour dans la maison paternelle, et bien souvent depuis mon départ de Chavanon, je m’étais tracé ce tableau, je n’avais jamais imaginé que je pourrais être ainsi paralysé dans mon élan. Il me faudrait longtemps sans doute avant de savoir l’anglais, qui me paraissait une langue difficile.

Nous mîmes huit jours pour faire le trajet de Paris à Boulogne, car nous nous arrêtâmes un peu dans les principales villes qui se trouvèrent sur notre passage : Beauvais, Abbeville, Montreuil-sur-Mer, afin de donner quelques représentations et de reconstituer notre capital.

Quand nous arrivâmes à Boulogne nous avions encore trente-deux francs dans notre bourse, c’est-à-dire beaucoup plus qu’il ne fallait pour payer notre passage.

Comme Mattia n’avait jamais vu la mer, notre première promenade fut pour la jetée : pendant quelques minutes il resta les yeux perdus dans les profondeurs vaporeuses de l’horizon, puis, faisant claquer sa langue, il déclara que c’était laid, triste et sale.

Une discussion s’engagea alors entre nous, car nous