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Page:Malot - Sans famille, 1887, tome 2.djvu/264

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SANS FAMILLE

— Pardi, je le sens bien !

Et après quelques minutes il courut s’appuyer sur le bord du navire.

Ah ! le pauvre Mattia, comme il fut malade ; j’eus beau le prendre dans mes bras et appuyer sa tête contre ma poitrine, cela ne le guérit point ; il gémissait, puis de temps en temps se levant vivement, il courait s’accouder sur le bord du navire, et ce n’était qu’après quelques minutes qu’il revenait se blottir contre moi.

Alors, chaque fois qu’il revenait ainsi, il me montrait le poing, et, moitié riant, moitié colère, il disait :

— Oh ! ces Anglais, ça n’a pas de cœur.

— Heureusement.

Quand le jour se leva, un jour pâle, vaporeux et sans soleil, nous étions en vue de hautes falaises blanches, et çà et là on apercevait des navires immobiles et sans voiles. Peu à peu le roulis diminua et notre navire glissa sur l’eau tranquille presque aussi doucement que sur un canal. Nous n’étions plus en mer, et de chaque côté, tout au loin, on apercevait des rives boisées, ou plus justement on les devinait à travers les brumes du matin : nous étions entrés dans la Tamise.

— Nous voici en Angleterre, dis-je à Mattia.

Mais il reçut mal cette bonne nouvelle, et s’étalant de tout son long sur le pont :

— Laisse-moi dormir, répondit-il.

Comme je n’avais pas été malade pendant la traversée, je ne me sentais pas envie de dormir ; j’arrangeai Mattia pour qu’il fût le moins mal possible, et