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Page:Malot - Sans famille, 1887, tome 2.djvu/286

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SANS FAMILLE

quand il t’aurait retrouvé. Si je ne lui donnai point mon adresse ici, c’est que nous n’habitons Londres que dans l’hiver ; pendant la belle saison nous parcourons l’Angleterre et l’Écosse pour notre commerce de marchands ambulants avec nos voitures et notre famille. Voilà, mon garçon, comment tu as été retrouvé, et comment après treize ans, tu reprends ici ta place, dans la famille. Je comprends que tu sois un peu effarouché car tu ne nous connais pas, et tu n’entends pas ce que nous disons de même que tu ne peux pas te faire entendre ; mais j’espère que tu t’habitueras vite.

Oui sans doute, je m’habituerais vite ; n’était-ce pas tout naturel puisque j’étais dans ma famille, et que ceux avec qui j’allais vivre étaient mes père et mère, mes frères et sœurs ?

Les beaux langes n’avaient pas dit vrai ; pour mère Barberin, pour Lise, pour le père Acquin, pour ceux qui m’avaient secouru c’était un malheur ; je ne pourrais pas faire pour eux ce que j’avais rêvé, car des marchands ambulants, alors surtout qu’ils demeurent dans un hangar, ne doivent pas être bien riches ; mais pour moi qu’importait après tout : j’avais une famille et c’était un rêve d’enfant de s’imaginer que la fortune serait ma mère : tendresse vaut mieux que richesse : ce n’était pas d’argent que j’avais besoin, c’était d’affection.

Pendant que j’écoutais le récit de mon père, n’ayant des yeux et des oreilles que pour lui, on avait dressé le couvert sur la table : des assiettes à fleurs bleues, et dans un plat en métal un gros morceau de bœuf