Aller au contenu

Page:Malot - Sans famille, 1887, tome 2.djvu/299

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
291
SANS FAMILLE

— Ne dis pas cela, Rémi, s’il faut que quelqu’un parte, c’est toi, au contraire.

— Pourquoi ?

— Parce que…

Il n’acheva pas et détourna les yeux devant mon regard interrogateur.

— Mattia, réponds-moi en toute sincérité, franchement, sans ménagement pour moi, sans peur ; tu ne dormais pas cette nuit ? tu as vu ?

Il tint ses yeux baissés, et d’une voix étouffée :

— Je ne dormais pas, dit-il.

— Qu’as-tu vu ?

— Tout.

— Et as-tu compris ?

— Que ceux qui vendaient ces marchandises ne les avaient pas achetées. Ton père les a grondés d’avoir frappé à la porte de la remise et non à celle de la maison ; ils ont répondu qu’ils étaient guettés par les policemen.

— Tu vois donc bien qu’il faut que tu partes, lui dis-je.

— S’il faut que je parte, il faut que tu partes aussi, cela n’est pas plus utile pour l’un que pour l’autre.

— Quand je t’ai demandé de m’accompagner, je croyais, d’après ce que m’avait dit mère Barberin, et aussi d’après mes rêves, que ma famille pourrait nous faire instruire tous les deux, et que nous ne nous séparerions pas ; mais les choses ne sont pas ainsi ; le rêve était… un rêve ; il faut donc que nous nous séparions.

— Jamais !

— Écoute-moi bien, comprends-moi, et n’ajoute