Page:Malot - Sans famille, 1887, tome 2.djvu/300

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
292
SANS FAMILLE

pas à mon chagrin. Si à Paris nous avions rencontré Garofoli, et si celui-ci t’avait repris, tu n’aurais pas voulu, n’est-ce pas, que je restasse avec toi, et ce que je te dis en ce moment, tu me l’aurais dit.

Il ne répondit pas.

— Est-ce vrai ? dis-moi si c’est vrai.

Après un moment de réflexion il parla :

— À ton tour écoute-moi, dit-il, écoute-moi bien : quand, à Chavanon, tu m’as parlé de ta famille qui te cherchait, cela m’a fait un grand chagrin ; j’aurais dû être heureux de savoir que tu allais retrouver tes parents, j’ai été au contraire fâché. Au lieu de penser à ta joie et à ton bonheur, je n’ai pensé qu’à moi : je me suis dit que tu aurais des frères et des sœurs que tu aimerais comme tu m’aimais, plus que moi peut-être, des frères et des sœurs riches, bien élevés, instruits, des beaux messieurs, des belles demoiselles, et j’ai été jaloux. Voilà ce qu’il faut que tu saches, voilà la vérité qu’il faut que je te confesse pour que tu me pardonnes, si tu peux me pardonner d’aussi mauvais sentiments.

— Oh ! Mattia !

— Dis, dis-moi que tu me pardonnes.

— De tout mon cœur ; j’avais bien vu ton chagrin, je ne t’en ai jamais voulu.

— Parce que tu es bête ; tu es une trop bonne bête ; il faut en vouloir à ceux qui sont méchants, et j’ai été méchant. Mais si tu me pardonnes, parce que tu es bon, moi, je ne me pardonne pas, parce que moi, je ne suis pas bon. Tu ne sais pas tout encore : je me disais : je vais avec lui en Angleterre parce qu’il