Aller au contenu

Page:Malot - Sans famille, 1887, tome 2.djvu/301

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
293
SANS FAMILLE

faut voir ; mais quand il sera heureux, bien heureux, quand il n’aura plus le temps de penser à moi, je me sauverai, et, sans m’arrêter, je m’en irai jusqu’à Lucca pour embrasser Cristina. Mais voilà qu’au lieu d’être riche et heureux, comme nous avions cru que tu le serais, tu n’es pas riche et tu es… c’est-à-dire tu n’es pas ce que nous avions cru ; alors je ne dois pas partir, et ce n’est pas Cristina, ce n’est pas ma petite sœur que je dois embrasser, c’est mon camarade, c’est mon ami, c’est mon frère, c’est Rémi.

Disant cela, il me prit la main et me l’embrassa ; alors les larmes emplirent mes yeux, mais elles ne furent plus amères et brûlantes comme celles que je venais de verser.

Cependant, si grande que fût mon émotion, elle ne me fit pas abandonner mon idée :

— Il faut que tu partes, il faut que tu retournes en France, que tu voies Lise, le père Acquin, mère Barberin, tous mes amis, et que tu leur dises pourquoi je ne fais pas pour eux ce que je voulais, ce que j’avais rêvé, ce que j’avais promis. Tu expliqueras que mes parents ne sont pas riches comme nous avions cru, et ce sera assez pour qu’on m’excuse. Tu comprends, n’est-ce pas ? Ils ne sont pas riches, cela explique tout : ce n’est pas une honte de n’être pas riche.

— Ce n’est pas parce qu’ils ne sont pas riches que tu veux que je parte ; aussi je ne partirai pas.

— Mattia, je t’en prie, n’augmente pas ma peine, tu vois comme elle est grande.

— Oh ! je ne veux pas te forcer à me dire ce que tu as honte de m’expliquer. Je ne suis pas malin, je ne suis