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Page:Malot - Sans famille, 1887, tome 2.djvu/323

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SANS FAMILLE

quoi master Driscoll t’a fait chercher et dans quel but il a dépensé de l’argent. Moi je ne le trouve pas parce que je ne suis pas malin, et parce que je ne connais rien à rien.

— Ne dis donc pas cela : tu es plein de malice au contraire.

— Si je l’étais, je t’expliquerais tout de suite ce que je ne peux pas t’expliquer, mais ce que je sens : non, tu n’es pas l’enfant de la famille Driscoll, tu ne l’es pas, tu ne peux pas l’être ; cela sera reconnu plus tard, certainement ; seulement par ton obstination à ne pas vouloir ouvrir les yeux tu retardes ce moment. Je comprends que ce que tu appelles le respect envers ta famille te retienne, mais il ne devrait pas te paralyser complètement.

— Mais que veux-tu que je fasse ?

— Je veux que nous retournions en France.

— C’est impossible.

— Parce que le devoir te retient auprès de ta famille ; mais si cette famille n’est pas la tienne, qui te retient ?

Des discussions de cette nature ne pouvaient aboutir qu’à un résultat, qui était de me rendre plus malheureux que je ne l’avais jamais été.

Quoi de plus de terrible que le doute !

Et malgré que je ne voulusse pas douter, je doutais.

Ce père était-il mon père ? cette mère était-elle ma mère ? cette famille était-elle la mienne ?

Cela était horrible à avouer, j’étais moins tourmenté, moins malheureux, lorsque j’étais seul.

Qui m’eût dit, lorsque je pleurais tristement, parce