Aller au contenu

Page:Malot - Sans famille, 1887, tome 2.djvu/324

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
316
SANS FAMILLE

que je n’avais pas de famille, que je pleurerais désespérément parce que j’en aurais une ?

D’où me viendrait la lumière ? qui m’éclairerait ? Comment saurais-je jamais la vérité ?

Je restais devant ces questions, accablé de mon impuissance, et je me disais que je me frapperais inutilement et à jamais, en pleine nuit noire, la tête contre un mur dans lequel il n’y avait pas d’issue.

Et cependant il fallait chanter, jouer des airs de danse, et rire en faisant des grimaces, quand j’avais le cœur si profondément triste.

Les dimanches étaient mes meilleurs jours, parce que le dimanche on ne fait pas de musique dans les rues de Londres, et je pouvais alors librement m’abandonner à ma tristesse, en me promenant avec Mattia et Capi ; comme je ressemblais peu alors à l’enfant que j’étais quelques mois auparavant !

Un de ces dimanches, comme je me préparais à sortir avec Mattia, mon père me retint à la maison, en me disant qu’il aurait besoin de moi dans la journée, et il envoya Mattia se promener tout seul : mon grand-père n’était pas descendu ; ma mère était sortie avec Kate et Annie, et mes frères étaient à courir les rues ; il ne restait donc à la maison que mon père et moi.

Il y avait à peu près une heure que nous étions seuls, lorsqu’on frappa à la porte ; mon père alla ouvrir et il rentra accompagné d’un monsieur qui ne ressemblait pas aux amis qu’il recevait ordinairement : celui-là était bien réellement ce qu’en Angleterre on appelle un gentleman, c’est-à-dire un vrai monsieur, élégamment habillé et de physionomie hau-