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Page:Malot - Sans famille, 1887, tome 2.djvu/342

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SANS FAMILLE

Nous marchions derrière les voitures, et au lieu des exhalaisons puantes et malfaisantes de Bethnal-Green, nous respirons l’air pur des belles campagnes que nous traversons, et qui n’ont peut-être pas du green dans leur nom, mais qui ont du vert pour les yeux et des chants d’oiseaux pour les oreilles.

Le jour même de notre départ, je vis comment se faisait la vente de ces marchandises qui avaient coûté si peu cher : nous étions arrivés dans un gros village, et les voitures avaient été rangées sur la grande place, on avait abaissé un des côtés, formés de plusieurs panneaux, et tout l’étalage s’était présenté à la curiosité des acheteurs.

— Voyez les prix ! voyez les prix ! criait mon père ; vous n’en trouverez nulle part de pareils ; comme je ne paye jamais mes marchandises, cela me permet de les vendre bon marché ; je ne les vends pas, je les donne ; voyez les prix ! voyez les prix !

Et j’entendais des gens qui avaient regardé ces prix, dire en s’en allant :

— Il faut que ce soient là des marchandises volées.

— Il le dit lui-même.

S’ils avaient jeté les yeux de mon côté, la rougeur de mon front leur aurait appris combien étaient fondées leurs suppositions.

S’ils ne virent point cette rougeur, Mattia la remarqua, lui, et le soir il m’en parla, bien que d’ordinaire il évitât d’aborder franchement ce sujet.

— Pourras-tu toujours supporter cette honte ? me dit-il.