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Page:Malot - Sans famille, 1887, tome 2.djvu/418

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SANS FAMILLE

ses habitudes, ses amis, la vache issue de la nôtre pour venir en Angleterre près de nous ; notre petit Mattia est nourri par sa mère, mais il est soigné, porté, amusé, cajolé par mère Barberin, qui déclare que c’est le plus bel enfant qu’elle ait jamais vu.

Arthur tient dans sa main un numéro du Times ; il le dépose sur ma table de travail en me demandant si je l’ai lu, et, sur ma réponse négative, il me montre du doigt une correspondance de Vienne que je traduis :

« Vous aurez prochainement à Londres la visite de Mattia ; malgré le succès prodigieux qui a accueilli la série de ses concerts ici, il nous quitte, appelé en Angleterre par des engagements auxquels il ne peut manquer. Je vous ai déjà parlé de ces concerts ; ils ont produit la plus vive sensation autant par la puissance et par l’originalité du virtuose, que par le talent du compositeur ; pour tout dire, en un mot, Mattia est le Chopin du violon. »

Je n’ai pas besoin de cet article pour savoir que le petit musicien des rues, mon camarade et mon élève, est devenu un grand artiste ; j’ai vu Mattia se développer et grandir, et si, quand nous travaillions tous trois ensemble sous la direction de notre précepteur, lui, Arthur et moi, il faisait peu de progrès en latin et en grec, il en faisait de tels en musique avec les maîtres que ma mère lui donnait, qu’il n’était pas difficile de deviner que la prédiction d’Espinassous, le perruquier-musicien de Mende, se réaliserait ; cependant, cette correspondance de Vienne me remplit d’une joie orgueilleuse comme si j’avais ma part des