Page:Malot - Sans famille, 1902.djvu/23

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une certaine somme d’argent à son mari, parce que celui-ci allait faire un procès à l’entrepreneur chez lequel il avait été blessé.

Les journées, les semaines s’écoulèrent et de temps en temps il arriva des lettres qui toutes demandaient de nouveaux envois d’argent ; la dernière, plus pressante que les autres, disait que s’il n’y avait plus d’argent, il fallait vendre la vache pour s’en procurer.

Ceux-là seuls qui ont vécu à la campagne avec les paysans savent ce qu’il y a de détresses et de douleurs dans ces trois mots : "vendre la vache."

Enfin nous l’aimions et elle nous aimait, ce qui est tout dire.

Pourtant il fallut s’en séparer, car c’était seulement par "la vente de la vache" qu’on pouvait satisfaire Barberin.

Le mardi gras arriva justement peu de temps après la vente de Roussette ; l’année précédente, pour le mardi gras, mère Barberin m’avait fait un régal avec des crêpes et des beignets ; et j’en avais tant mangé, tant mangé qu’elle en avait été toute heureuse.

Mais alors nous avions Roussette, qui nous avait donné le lait pour délayer la pâte et le beurre pour mettre dans la poêle.

Plus de Roussette, plus de lait, plus de beurre, plus de mardi gras : c’était ce que je m’étais dit tristement.

Cependant mère Barberin m’avait fait une surprise ; bien qu’elle ne fût pas emprunteuse, elle avait de-