Page:Malot - Sans famille, 1902.djvu/29

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– Il dort, dit mère Barberin ; aussitôt couché, aussitôt endormi, c’est son habitude ; tu peux parler sans craindre qu’il t’entende.

Sans doute, j’aurais dû dire que je ne dormais pas, mais je n’osai point ; on m’avait commandé de dormir, je ne dormais pas, j’étais dans mon tort.

– Ton procès, où en est-il ? demanda mère Barberin.

– Perdu ! Les juges ont décidé que j’étais en faute de me trouver sous les échafaudages et que l’entrepreneur ne me devait rien.

Là-dessus il donna un coup de poing sur la table et se mit à jurer sans dire aucune parole sensée.

– Le procès perdu, reprit-il bientôt ; notre argent perdu, estropié, la misère ; voilà ! Comme si ce n’était pas assez, en rentrant ici je trouve un enfant. M’expliqueras-tu pourquoi tu n’as pas fait comme je t’avais dit de faire ?

– Parce que je n’ai pas pu.

– Tu n’as pas pu le porter aux Enfants trouvés ?

– On n’abandonne pas comme ça un enfant qu’on a nourri de son lait et qu’on aime.

– Ce n’était pas ton enfant.

– Enfin je voulais faire ce que tu demandais, mais voilà précisément qu’il est tombé malade.

– Malade ?

– Oui, malade ; ce n’était pas le moment, n’est-ce pas, de le porter à l’hospice pour le tuer ?

– Quand il a été guéri ?

– C’est qu’il n’a pas été guéri tout de suite.