Page:Malot - Sans famille, 1902.djvu/71

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disposés à la danse, il était évident qu’un morceau de pain eût bien mieux fait leur affaire, mais peu à peu ils s’animèrent, la musique produisit son effet obligé, nous oubliâmes tous le morceau de pain que nous n’avions pas et nous ne pensâmes plus, moi qu’à jouer, eux qu’à danser.

Tout à coup j’entendis une voix claire, une voix d’enfant crier : "bravo!" Cette voix venait de derrière moi. Je me retournai vivement.

Un bateau était arrêté sur le canal, l’avant tourné vers la rive sur laquelle je me trouvais ; les deux chevaux qui le traînaient avaient fait halte sur la rive opposée.

C’était un singulier bateau, et tel que je n’en avais pas encore vu de pareil ; il était beaucoup plus court que les péniches qui servent ordinairement à la navigation sur les canaux, et au-dessus de son pont peu élevé sur l’eau était construite une sorte de galerie vitrée ; à l’avant de cette galerie se trouvait une verandah ombragée par des plantes grimpantes dont le feuillage accroché çà et là aux découpures du toit retombait par places en cascades vertes : sous cette verandah j’aperçus deux personnes : une dame jeune encore, à l’air noble et mélancolique, qui se tenait debout, et un enfant, un garçon à peu près de mon âge qui me parut couché.

C’était cet enfant sans doute qui avait crié "bravo."

Remis de ma surprise, car cette apparition n’avait rien d’effrayant, je soulevai mon chapeau afin de remercier celui qui m’avait applaudi.