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Page:Malot - Sans famille, 1902.djvu/80

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de quelque chose, Joli-Cœur était indifférent, et pour moi j’étais terriblement ému. C’était ma vie qui allait se décider. Ah ! si j’avais osé, comme j’aurais prié Vitalis de ne pas dire que j’étais un enfant trouvé !

Mais je n’osais pas, et je sentais que ces deux mots : "enfant trouvé," ne pourraient jamais sortir de ma gorge.

Je m’étais placé dans un coin de la cour de la gare, tenant mes trois chiens en laisse, et Joli-Cœur sous ma veste, et j’attendais sans trop voir ce qui se passait autour de moi.

Ce furent les chiens qui m’avertirent que le train était arrivé, et qu’ils avaient flairé notre maître. Tout à coup je me sentis entraîné en avant, et comme je n’étais pas sur mes gardes, les chiens m’échappèrent. Ils couraient en aboyant joyeusement, et presque aussitôt je les vis sauter autour de Vitalis qui, dans son costume habituel, venait d’apparaître. Plus prompt, bien que moins souple que ses camarades, Capi s’était élancé dans les bras de son maître, tandis que Zerbino et Dolce se cramponnaient à ses jambes.

Je m’avançai à mon tour, et Vitalis, posant Capi à terre, me serra dans ses bras : pour la première fois, il m’embrassa en me répétant à plusieurs reprises :

Buon dì, povero caro !

Mon maître n’avait jamais été dur pour moi, mais n’avait jamais non plus été caressant, et je n’étais pas habitué à ces effusions ; cela m’attendrit et me fit venir les larmes aux yeux, car j’étais dans des dispositions où le cœur se serre vite.