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Page:Malte-Brun - la France illustrée tome I.djvu/113

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XCIX
INTRODUCTION

et les propos philosophiques ; non pas de ces délicieux banquets de Xénophon ou de Platon, célébrés sous des portiques de marbre, dans les jardins de Scillonte ou d’Athènes ; c’est une orgie enfumée, une ripaille bourgeoise, un réveillon de Noël. C’est encore, si l’on veut, une longue chanson après boire. » (Sainte-Beuve, Tableau de la poésie française au xvie siècle.)

Parmi les noms contemporains qui perpétuent les traditions des sciences ou de littérature dans ces provinces, nous citerons le baron Charles Dupin, Jules Janin, H. de Balzac, le profond observateur, qui malheureusement s’est surtout appliqué à représenter les laideurs de la nature humaine ; Amédée Thierry, le savant historien de la Gaule ; son illustre frère Augustin Thierry, le martyr de la science, qui a porté dans l’histoire l’intérêt du roman et les vives couleurs de la plus riche poésie, et a su mêler dans une juste mesure la critique historique aux dons les plus brillants de l’imagination ; enfin, George Sand, qui est comme l’antithèse de Balzac, et dont l’esprit noble et élevé, tout en frondant la société, s’est attaché avec amour aux qualités les plus généreuses du cœur humain.

Les jurisconsultes sont nombreux dans ces provinces. Excepté Bodin et Duprat, les principaux appartiennent surtout au Nivernais et à l’Orléanais. Gui Coquille, les Lamoignon, Marchangy, Dupin aîné sont de Nevers ; de l’Orléanais, Pothier, Isambert et Pardessus.


Île-de-France et Picardie. — Nous voici arrivés maintenant au véritable centre politique et intellectuel de la France, Paris et les provinces qui l’environnent. C’est là que, pendant longtemps, fut concentrée toute notre histoire ; c’est là qu’aboutissent et se fondent toutes les forces vives de la France pour former un esprit général, l’esprit de la nation : c’est là le cœur du pays, qui reçoit et renvoie aux provinces le sang transformé ; l’aliment de la vie ; chacun de ses mouvements se fait sentir jusqu’aux extrémités. On pourrait dire de Paris ce que Balzac disait de Rome : « C’est la boutique où s’achèvent les dons naturels. » Cette contrée, si riche par elle-même, est plus riche encore par le tribut des provinces, qui lui envoient pour les former l’élite de leurs enfants. Ici est le rendez-vous de tous les grands esprits ; ici s’opère la fusion des races, des idées, des caractères. C’est du mélange de toutes ces individualités que s’est formé le caractère général de notre esprit et de notre littérature. Là nous retrouvons à la fois et la verve intarissable du Midi avec le mysticisme et le sensualisme du Nord, l’esprit critique de l’Est uni à la ténacité des provinces occidentales ; le tout mêlé à la finesse ironique de la Champagne, à l’éloquence et à la poésie inspirée de la Bourgogne.

« Pour faire connaître le génie de ces écrivains, dit l’historien que nous avons déjà cité, il n’est qu’une manière, c’est de raconter l’histoire de la monarchie ; on les caractériserait mal en citant quelques noms propres, ils ont donné l’esprit national. Ils ne sont pas un pays, mais le résumé du pays... Les écrivains si nombreux qui sont nés à Paris et dans l’Île-de-France doivent beaucoup aux provinces dont leurs parents sont sortis ; ils appartiennent surtout à l’esprit universel de la France qui rayonna en eux. En Villon, en Boileau, en Molière et Regnard, on sent tout ce qu’il y a de plus général dans l’esprit français ; ou, si l’on veut y chercher quelque chose de local, on y distinguera tout au plus un reste de cette vieille sève d’esprit bourgeois, esprit moyen, moins étendu que judicieux, critique et moqueur, qui se forma d’abord de bonne humeur gauloise et d’amertume parlementaire. Mais ce caractère indigène et particulier est encore secondaire, le général y domine. »

Aussi l’unique difficulté est-elle ici de choisir parmi cette infinité de noms illustres. Sans doute il en est quelques-uns qui s’imposent, mais que chacun nomme tout d’abord, et l’on ne peut hésiter à citer des écrivains comme Molière, Racine, Regnard, Boileau, Béranger, Calvin, Mme de Sévigné, Voltaire, Mme de Staël et quelques autres ; c’est quand on arrive au second rang qu’il devient difficile de choisir parmi tant d’hommes qui se recommandent à des titres si différents.

Aux premiers siècles de notre littérature, ces provinces de l’Île-de-France produisirent Blondel, célèbre par son attachement à Richard Cœur de Lion, et Rutebeuf, sur lequel nous nous arrêterons quelque temps, comme représentant mieux qu’aucun autre l’immense famille des trouvères. Voici le portrait qu’en fait M. Demogeot dans ce style si vif et si net qui distingue son ouvrage : « L’un des plus hardis et des plus habiles trouvères est Rutebeuf, contemporain de saint Louis. Vilain d’origine, clerc par le savoir, laïque par l’habit, quand il en avait un, pauvre existence vagabonde pour qui la société n’avait pas encore de place : c’est au roi, c’est aux

France illustrée
Introduction, 13e Liv.