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Page:Malte-Brun - la France illustrée tome I.djvu/124

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CX
LA FRANCE ILLUSTRÉE

l’égalité dans les droits et dans les charges de la possession. Cette conquête était immense, elle a changé la face du sol français. Le paysan se rua sur cette terre qui enfin devenait sienne. D’un bout du territoire à l’autre il fut pris d’une unique et violente passion, celle de remuer, de fouiller pour son propre compte ces champs où jusque-là il n’avait eu que le droit de travailler et de souffrir. Quels miracles n’a pas accomplis depuis près d’un siècle cette providentielle cupidité ! que de landes défrichées ! que de marais desséchés ! quelle intelligente appropriation du sol aux différentes cultures ! quelle rapide et vaste application des procédés que la science découvre ou que l’expérience révèle ! Nos impatientes aspirations vers le mieux nous ferment trop souvent les yeux sur le bien dont nous jouissons ; avant d’aborder la critique de ce qui est, reportons notre pensée vers ce passé d’hier, et à tous les mérites du temps présent ajoutons celui de rendre perceptibles, possibles, certaines, inévitables, les améliorations de l’avenir. Après avoir payé cette dette de reconnaissance, il est permis de reconnaître que, dans le sujet qui nous occupe comme en toute chose humaine, le mal peut se trouver mêlé au bien. Le morcellement indéfini, par exemple, est devenu une véritable plaie pour quelques localités ; c’est encore ainsi que la passion exagérée du sol a souvent trompé le paysan sur ses intérêts, qui sont en définitive ceux de l’agriculture.

Maint cultivateur a sacrifié à l’ambition d’agrandir son domaine les conditions d’aisance indispensables à toute bonne exploitation rurale. Dans son aveugle impatience d’acquérir la pièce de terre qui l’avoisine, il oublie les exigences de l’usure à qui il faudra recourir demain ; il refuse de comprendre que le rapport d’un hectare bien tenu est supérieur à celui de quatre hectares laissés en souffrance. À ces griefs, dont il ne faut ni exagérer ni dissimuler l’importance, nous pourrions ajouter encore l’insuffisance des encouragements gouvernementaux et rappeler la réponse d’un ministre d’un des derniers règnes, qui prouvait que les allocations votées pour cet usage étaient inférieures à la somme donnée comme subvention à l’Opéra ; mais nous avons hâte de rentrer dans notre cadre, où il nous reste à peine la place nécessaire à un tableau très succinct de l’état actuel de l’agriculture en France.


On compte, sous le rapport de la culture, sept espèces différentes de sol, réparties dans chaque département à peu près ainsi qu’il suit :

1° Terres grasses : Aisne, Aude, Eure, Eure-et-Loir, Nord, Oise, Hérault, Pas-de-Calais, Seine, Seine-et-Marne, Seine-et-Oise, Lot, Loiret, Seine-Inférieure, Somme, Tarn, Haute-Garonne, Deux-Sèvres, Vendée ;

2° Terres à bruyères ou de landes : Côtes-du-Nord, Loire-Inférieure, Finistère, Morbihan, Ille-et-Vilaine, Maine-et-Loire, Orne, Calvados, Manche, Gironde, Dordogne, Lot-et-Garonne, Ariège, Hautes et Basses-Pyrénées, Landes, Gers, Aveyron, Gard ;

3° Terres à craie : Marne, Ardennes, Aube, Haute-Marne, Loir-et-Cher, Indre-et-Loire, Charente, Charente-Inférieure, Vienne ;

4° Terres à gravier : Nièvre et Allier ;

5° Terres pierreuses : Meuse, Meurthe-et-Moselle, Vosges, Haut-Rhin (Territoire de Belfort), Côte-d’Or, Haute-Saône, Doubs, Saône-et-Loire, Jura, Ain, Yonne, Rhône, Loire ;

6° Terres de montagne : Cantal, Lozère, Ardèche, Pyrénées-Orientales, Corrèze, Haute-Loire, Drôme, Hautes-Alpes, Basses-Alpes, Alpes-Maritimes, Savoie, Haute-Savoie, Var, Bouches-du-Rhône, Vaucluse, Isère, Puy-de-Dôme ;

7° Terres sablonneuses : Cher, Creuse, Indre, Mayenne, Sarthe, Haute-Vienne.

Chacune de ces diverses qualités du sol est l’objet d’incessantes expérimentations ; aussi les produits en ont-ils doublé depuis trente ans ; on les évalue à une somme de 18 milliards de francs, qui se répartit ainsi :

Culture
5.000.000.000
Pâturages
2.000.000.000
Cultures diverses industrielles
1.500.000.000
Vignes, cidre, poiré
1.500.000.000
Forêts et bois
2.000.000.000
Animaux domestiques
6.000.000.000
Total
18.000.000.000

Nous résumerons en quelques points principaux les progrès de l’agriculture dans cette dernière période. Tels sont : le repos stérile des jachères remplacé par l’alternement des cultures, la pratique des prairies artificielles, l’introduction de la pomme de terre et de la betterave, le perfectionnement des instruments aratoires, l’indispensable nécessité des engrais mieux comprise, et enfin l’assainissement des terres humides par l’application beaucoup trop restreinte encore du drainage,