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Page:Malte-Brun - la France illustrée tome I.djvu/128

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CXIV
LA FRANCE ILLUSTRÉE

aux Indes mêmes, ce que nous empruntions quelques siècles auparavant à l’Orient et à l’Italie. Le grand travail intellectuel du xvie siècle (car dans l’histoire de l’humanité tout se lie et s’enchaîne) se traduit sous Louis XIV dans un brillant épanouissement de la littérature et des beaux-arts ; cet éclat se reflète dans la somptuosité des meubles, dans l’élégance des vêtements, dans le bon goût et la variété des modes, et la supériorité de la France s’impose par les produits de son industrie en même temps que par les triomphes de ses armées et par la gloire de ses artistes, de ses littérateurs, de ses poètes. Malheureusement, cette prospérité tenait à la vie d’un ministre et au caprice d’un roi ; Colbert mourut, et on sait ce que fit de la France Louis XIV, livré à lui-même ou plutôt aux trop rigides influences de Mme de Maintenon. La révocation de l’édit de Nantes renouvela pour l’industrie tous les maux que lui avaient causés les guerres de religion. Les successeurs de Colbert ne virent d’autre remède à la crise que la résurrection des vieux règlements si judicieusement abolis ; les résultats répondirent à ces mesures rétrogrades. La France resta stationnaire ; c’était reculer, car tout progressait autour d’elle. C’est ici qu’il faut admirer avec quelle puissance se manifestent les germes de rénovation que la Révolution portait dans ses flancs, et combien le génie français était propre à les féconder.

Embrassons d’un coup d’œil rapide et général la période qui s’étend de 1750 à 1815. Aux désastres des dernières années de Louis XIV succède une époque de gaspillage, une longue orgie de favoris et de favorites, le règne de Louis XV ; puis arrive, sous Louis XVI, l’heure fatale de la liquidation. Le spectre du déficit surgit ; ce qui restait du crédit public s’éteint, et, au milieu d’essais tardifs et impuissants, de tiraillements fiévreux, la monarchie agonise et meurt. La république recueille l’héritage : banqueroute, famine et guerre. L’ennemi est partout, au dedans comme à la frontière ; on ne songe qu’à frapper ou à se défendre. L’industrie, que va-t-elle devenir au milieu de ces convulsions et de ces tempêtes ? Elle va renaître d’une vie nouvelle, d’une vie vraie. Il sera prouvé une fois de plus au monde que les proportions d’un fait peuvent se mesurer sur la portée de l’idée qui l’a engendré. Les deux principes d’avenir ont été conquis : la liberté, l’égalité. Au milieu des batailles, le Français a compris que la paix est le but où marchent les peuples libres. L’industrie française a donc désormais sa base ; que ses destinées ne nous inquiètent plus. Qu’importe si la poussière des combats dérobe d’abord à nos yeux les premières assises ; qu’importe si, pendant vingt ans, la fumée du canon s’élève entre nos regards et les colonnes de l’édifice qui monte ; tous ces nuages se dissiperont, tout ce tumulte s’apaisera, et dans le ciel rasséréné, sur le sol raffermi surgira le monument impérissable que l’idée semblait avoir fondé dans le chaos.

En exposant au milieu de quelles difficultés dut s’opérer l’organisation de l’industrie moderne en France, nous n’avons indiqué qu’une partie des obstacles qu’elle eut à vaincre pour ses premiers débuts. Son état de faiblesse se compliquait de la supériorité des forces sous lesquelles la concurrence étrangère allait essayer de l’étouffer.

En 1815, la France, épuisée par vingt ans de guerres, sans marine, dépouillée de ses colonies, chassée des pays où s’exerçait jadis son influence, surveillée sur toutes ses frontières par la défiance de ses vainqueurs ; la France, qui payait un milliard de rançon à l’étranger et un milliard d’indemnité à sa noblesse restaurée ; la France, dans la lutte pacifique qui allait s’ouvrir, avait pour adversaire sur tous les marchés du monde l’Angleterre, forte de son triomphe de Waterloo et de l’ascendant qu’il lui donnait, enrichie de nos principales dépouilles, protégée par les plus habiles traités, servie par une marine dominatrice, reine des mers, pourvue des relations les plus étendues et les mieux établies, dotée par vingt ans de monopole de la plus formidable organisation industrielle, puissante enfin, à l’exclusion presque complète de tous rivaux, de cette puissance nouvelle encore qui centuple les forces de l’homme, la vapeur.


§ III. La France industrielle n’hésita pas plus à accepter le combat que n’avait hésité la France guerrière de 1792 quand il s’était agi de refouler les quatorze armées de la coalition. Moins de trente années lui suffirent pour regagner le terrain perdu et marcher de pair avec quiconque la distançait autrefois. C’est en passant une revue rapide des diverses industries qui florissent sur les divers points de notre territoire, c’est en consignant la rapidité et l’importance de leurs développements que nous pourrons apprécier les prodiges accomplis par le génie français dans la voie nouvelle qui lui était