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Page:Malte-Brun - la France illustrée tome I.djvu/131

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CXVII
INTRODUCTION

du Louvre et semble avoir choisi aujourd’hui le palais de la Bourse pour sa demeure ? Regardez à vos pieds, en dehors de la dernière enceinte, ces hautes et innombrables colonnes qui fument : c’est l’industrie qui jalonne le chemin de l’avenir !

Les évaluations les plus modérées portent de 12 à 15 milliards environ le chiffre total des valeurs créées annuellement par l’industrie française ; Paris seul y contribue pour un tiers.

Nous ne pouvons quitter ce sujet sans aborder deux questions qui s’y rattachent intimement et dont la solution est une des grandes préoccupations de notre époque : le libre-échange et la division du travail. Notre rôle se bornera à celui de rapporteur ; nous désirons seulement que nos lecteurs, après un exposé du problème, puissent l’étudier eux-mêmes ou du moins suivre avec intelligence et profit les débats d’une controverse qui soulève pour notre pays des intérêts si immenses. On entend par libre-échange la vente libre de tout produit chez toute nation, c’est-à-dire l’abolition de tout droit différentiel, la suppression de tout tarif protecteur, et comme conséquence logique et forcée la disparition des lignes de douanes. Ainsi, d’après le système des libres-échangistes, sauf les difficultés et le prix du transport, Bordeaux pourra vendre ses vins à Londres aussi bien qu’à Paris, et Manchester pourra expédier ses toiles à Rouen, à Lyon, tout comme à Dublin et Édimbourg. À l’appui de cette théorie, voici les principaux arguments qu’on fait valoir : 1° l’intérêt qui domine et résume tous les autres est celui du consommateur ; or cet intérêt demande que tout produit lui revienne au meilleur marché possible ; 2° les frais de douanes, de perception, de primes ne sont pas compensés par les résultats qu’on en espère ; ces dépenses retombent en partie sur ceux mêmes qu’on prétend soulager, puisque ce que l’État paye il est obligé de le demander à l’impôt qui pèse sur tous ; 3° la protection ne sert qu’à énerver, à engourdir dans une sécurité cupide l’industrie, dont la lutte et la rivalité sont les puissants et fertiles stimulants ; une industrie qui ne vit que de protection est une industrie factice qui tôt ou tard succombera. Nous laissons de côté les considérations morales : le rapprochement des peuples, l’effacement des nationalités jadis hostiles, l’activité des relations, la fusion des intérêts, et enfin la paix universelle. Les circonstances actuelles ne permettent guère d’envisager la question à ce dernier point de vue.

Les partisans de la protection répondent : 1° que, sans mettre en question la valeur intrinsèque de ces arguments ni la sincérité de ceux qui les produisent, il faut reconnaître cependant que la propagande libre-échangiste est faite surtout par ceux à qui elle doit profiter ; 2° que la suppression des droits protecteurs aurait pour résultat immédiat la ruine des faibles au profit des forts ; 3° qu’il ne faut cependant pas condamner comme impuissante et factice une industrie qui ne fait que naître ou qui se développe au milieu de circonstances exceptionnellement défavorables ; 4° que plusieurs des industries qui appellent avec le plus d’ardeur la libre concurrence aujourd’hui qu’elles sont fortes, n’ont pu naître et grandir elles-mêmes que sous la protection des tarifs prohibitifs qui les défendaient alors contre l’écrasante supériorité de leurs rivales.

De part et d’autre, on cite des exemples ; les intérêts menacés passionnent le débat et obscurcissent un problème dont la solution ne viendra que du temps et à la suite d’autres transformations sociales.

La division du travail n’est pas comme le libre-échange le texte de retentissantes querelles : c’est l’objet des tristes et sérieuses préoccupations de ceux qui, devant les richesses produites, s’alarment de la misère des producteurs.

Parmi les causes auxquelles on cherche à attribuer le dénuement et la décadence des populations manufacturières, on place au premier rang la division du travail. Ce n’est rien moins que reprocher à l’industrie ce qui a été son progrès essentiel, ce qui est aujourd’hui sa force principale. La division du travail, c’est la spécialisation des détails d’un ensemble dans un but d’abréviation et de perfectionnement. Un sauvage, un homme isolé qui voudrait se fabriquer un couteau devrait, après s’être procuré les matériaux nécessaires, amincir et façonner en lame un morceau de fer, tailler un manche, ajuster et consolider le tout ; il dépensera certainement beaucoup de temps, d’efforts, d’intelligence, pour n’arriver à produire qu’une œuvre grossière et médiocre. Dans nos fabriques civilisées, chaque pièce du couteau a son ouvrier spécial ; et cette besogne qu’un homme avait peine peut-être à dégrossir dans une journée se multipliera dans le même espace de temps plusieurs milliers de fois, s’embellira, se perfectionnera dans les mains de quelques travailleurs dont le travail sera spécialisé, divisé. Mais, à côté de cet utile et brillant résultat,