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CXVIII
LA FRANCE ILLUSTRÉE

quand on songe à la destinée de celui qui pendant douze heures par jour et pendant cinquante ans de sa vie rivera le même clou du même couteau ou arrondira le même manche, on se demande si l’humanité ne paye pas bien cher l’habileté qu’a acquise cet homme. Voilà le problème. Chacun, en regardant autour de soi, en trouvera mille applications aussi frappantes que celle choisie par nous. C’est le bien-être, l’enrichissement des uns, entraînant comme conséquence l’idiotisme, l’abrutissement des autres ; c’est le progrès industriel, monstre à deux faces : rose et frais pour ceux qui ne le regardent que d’un côté, couvert de lèpre et rongé d’ulcères pour ceux qui le retournent. Les statistiques et enquêtes officielles ont assez souvent signalé le mal pour que nous ne nous appesantissions pas davantage sur ce triste sujet. Nous ne nous dissimulons en rien la gravité du présent, mais nous espérons en l’avenir. Un temps viendra où les machines ne laisseront à faire à l’homme qu’un travail d’intelligence. N’oublions pas qu’en industrie comme en bien d’autres choses nous ne datons que de 1789 ; une science qui n’a pas encore un siècle d’existence est bien jeune encore ; elle se modifiera, s’épurera ; et, comme en elle reposent les destinées du monde, elle saura dégager le mal du bien qu’elle a mission de faire.

Voici, pour nous résumer, l’état de l’industrie française en août 1883 :

Mines de houille, 342, employant 166,415 ouvriers. — Exploitations de tourbes, 1,035, employant 27,977 ouvriers. — Mines de fer 355, employant 8,468 ouvriers. — Autres mines métallifères, 60, employant 4,422 ouvriers. — Usines à fer, 359, employant 57,000 ouvriers. — Fabriques de porcelaines et faïences, 412, employant 18,708 ouvriers. — Fabriques de verres et cristaux, 162, employant 23,421 ouvriers. — Fabriques de papier et de carton, 536, employant 32,653 ouvriers. — Usines à gaz, 619, employant 10,575 ouvriers. — Fabriques de bougies, 157, employant 1,603 ouvriers. — Fabriques de savons, 239, employant 3,509 ouvriers. — Fabriques de sucre indigène, 512, employant 63,526 ouvriers. — Industries textiles, 5,024, employant 353,383 ouvriers.


COMMERCE ET NAVIGATION

À chacun des deux angles de l’avenue des Champs-Élysées débouchant sur la place de la Concorde, il y a une statue allégorique à peu près semblable ; on sent qu’une même pensée, sinon la même main, a présidé à l’exécution : ce sont les chevaux de Marly ; ils ont conservé le nom de cette résidence, dont ils décoraient l’abreuvoir monumental. Voici ce qu’on raconte de leur origine. Un jour où Louis XIV, sortant sans doute d’une conférence avec Colbert, était ennuyé de voir le commerce éternellement représenté par un Mercure ailé, il lui prit fantaisie d’avoir de la chose une allégorie moins olympienne : des artistes furent convoqués ; on proposa, on adopta comme emblème le cheval, ce véhicule rapide, courageux, intelligent de la pensée humaine : la locomotive n’était point encore inventée. Un concours fut offert et une époque fixée pour le jugement. Le jour venu, deux statues se partageaient l’admiration du royal aréopage ; on ne savait à laquelle des deux décerner le prix, lorsqu’un des assistants, ce devait être Colbert, ou Vauban avant sa disgrâce, s’avisa de faire remarquer qu’un des deux chevaux représentait plus fidèlement le commerce parce qu’il galopait sans mors ni bride, et que le commerce a besoin de liberté dans ses allures. La chronique prétend que le roi approuva cette observation et décerna le prix au cheval libre. Nous ne garantissons pas l’anecdote, mais la moralité nous en paraît incontestable.

Le commerce vit surtout de liberté ; que le grand roi ait reconnu ou non cette vérité, l’histoire de tous les temps et de tous les peuples le prouve surabondamment, et l’étude de nos propres annales en est une confirmation nouvelle. Quelques échanges de ville à ville dans un rayon très rapproché, quelques relations le long des fleuves, quelques excursions sur les côtes, tel est le tableau que nous font les historiens romains de l’état commercial avant la conquête de César.


§ Ier. À l’exception de la grande colonie phénicienne de Marseille et des établissements qu’elle avait fondés sur divers points, le commerce extérieur n’était guère représenté que par quelques tribus de la basse Aquitaine et de l’Armorique transportant par mer, les premiers, en Espagne, de la résine, du miel, du vin et les produits de leur pêche ; les autres, sur les rivages correspondants de la Grande-Bretagne, quelques ouvrages d’argile qu’ils façonnaient avec habileté, des ustensiles en poterie, des légumes, des fruits et des bestiaux. Certains auteurs ont voulu trouver dans quelques