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Page:Malte-Brun - la France illustrée tome I.djvu/182

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AIN

vantée pour que nous la passions sous silence. Au milieu d’une des vastes forêts qui couvraient alors le pays, saint Gérard de Mâcon vint, en 958, se construire un modeste ermitage, autour duquel se forma une petite communauté. En 1120, Ulric, seigneur de Beaugé et de Bresse, finit ses jours dans ce monastère. Il relevait de l’abbaye d’Ambronay, en Bugey, qui y nomma des prieurs jusqu’en 1516. Quelques années avant cette époque, la contrée était gouvernée par Philippe VII de Savoie ; ce prince, qui aimait beaucoup la chasse, fit une chute de cheval dont l’art des médecins était impuissant à le guérir ; Marguerite de Bourbon, sa femme, qui l’aimait avec tendresse, fit vœu de remplacer l’ermitage de saint Gérard par un riche couvent de bénédictins, si Philippe recouvrait la santé. Ce pieux désir ayant été exaucé, elle se mit en devoir d’accomplir la promesse qu’elle avait faite. Surprise par la mort, elle légua par testament la continuation et l’achèvement de son œuvre à son mari et à son fils, alors âgé de deux ans ; il ne fut donné ni à l’un ni à l’autre de remplir la dernière volonté de Marguerite ; mais l’enfant, devenu homme et régnant sous le nom de Philibert le Beau, avait épousé Marguerite d’Autriche, qui lui survécut, et à laquelle il légua à son tour l’accomplissement du vœu maternel. Cette princesse s’en acquitta fidèlement. La Bresse lui ayant été assignée pour douaire, elle se rendit à Bourg, voulut voir par elle-même l’emplacement du monastère projeté, y ajouta la construction d’une église et chargea des travaux un architecte nommé André Colomban, qui en promit la complète exécution moyennant une somme de deux cent mille écus d’or, marqués au coin de France. Les premiers fondements furent jetés au commencement de l’année 1511 ; Marguerite en posa la première pierre ; puis elle partit pour les Pays-Bas, dont Charles-Quint, son neveu, venait de la nommer gouvernante, laissant à l’évêque Gorrevod le soin de veiller à l’achèvement du monument. Les travaux furent d’abord poussés avec vigueur ; mais, au bout de dix-huit mois, la somme promise et payée à Colomban avait été absorbée, et les travaux étaient loin d’être terminés ; l’artiste, découragé et désespéré, prit la fuite et alla se cacher à Salins sous la robe d’un ermite ; mais bientôt assailli par les regrets, tourmenté du désir de savoir comment se poursuivait l’œuvre qu’il avait conçue et dans laquelle il avait placé tant d’espérance et de gloire, il revint, et, grâce à son déguisement, il put, sans être reconnu, s’approcher des travaux. Ils étaient confiés à un certain Philippe de Chartres, qui substituait ses plans et ses dessins à la pensée de Colomban. Dieu sait ce que dut souffrir le grand artiste, partagé entre la crainte d’être reconnu et la douleur de voir ses conceptions mutilées. Pendant huit jours, épiant le départ des ouvriers qui s’éloignaient à l’heure des repas, il vint effacer les tracés de Philippe et les remplaça par des dessins en harmonie avec le plan primitif ; pendant huit jours, ses ruses trompèrent toutes les recherches de Philippe, des ouvriers et leurs efforts pour découvrir le sorcier qui jetait le trouble et la confusion dans leurs travaux ; Colomban fut enfin pris sur le fait, conduit devant l’évêque auquel il avoua tout, et qui lui pardonna ; on fit plus, on lui rendit la direction qu’il avait abandonnée, et il put achever son œuvre, pas assez tôt cependant pour que Marguerite pût voir terminée la pieuse tâche à laquelle elle avait pris tant de part. Cette princesse mourut à Malines ; mais elle recommanda par testament que son corps fût transporté et enterré à Brou. Elle légua douze mille florins aux religieux de cette église et trois cents florins aux chanoines de Notre-Dame de Bourg, à condition « qu’eux et leurs successeurs diroient à perpétuité et annuellement, au nombre de douze, tant chanoines que clercs, le vendredi avant le dimanche des brandons et les vigiles des morts, neuf psaumes et neuf leçons auprès de son tombeau, plus une grand’messe à la fin de laquelle ils chanteroient à haute voix les psaumes : De profundis, Miserere, Libera me. » Le même legs était fait, sous les mêmes conditions, aux pères jacobins, aux cordeliers et aux antonins de la ville. Les dépouilles de Marguerite furent transférées à Brou, selon son désir, et inhumées en grande pompe auprès des restes du duc Philibert, son époux, dans un caveau situé au milieu du chœur de l’église.

L’asile que leur avait préparé Colomban était et est demeuré un chef-d’œuvre. Le frontispice de la façade extérieure est couronné par trois frontons d’un goût très original ; celui du milieu, qui est le plus élevé, est d’un dessin qu’on ne retrouve dans aucun autre monument de la Renaissance, Le portail, dont l’arc est surbaissé, est couvert d’ornements et d’arabesques, remarquables par la richesse du travail et la perfection des détails. L’intérieur de l’édifice est généralement simple ; ce n’est que