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LA FRANCE ILLUSTRÉE

ques seigneuries en apanage. C’est au fils de ce dernier, nommé Raoul ou Renaud, et qui était châtelain (officier préposé à la garde du château et de la ville) de Coucy et non sire de Coucy, comme l’ont écrit à tort bien des historiens, que se rattache la sanglante légende du sire de Fayel, qui fit manger à son épouse adultère, la belle Gabrielle de Levergies[1], le cœur de Raoul qu’elle avait tant aimé. C’était, d’ailleurs, un « chevalier beau, courtois, plein de savoir, qui faisait chants et poésies, mais n’était pas riche d’avoir, » dit la chronique.

Avant de partir pour la croisade, Raoul Ier, sire de Coucy, avait accordé une charte communale aux deux villes de Marie et de Vervins, la première en 1174, la seconde en 1183. Sa veuve, Adélaïde, tutrice du jeune Enguerrand III, donna, en 1197, une charte de paix ou charte communale en trente-six articles aux habitants de Coucy. Il était réservé à Enguerrand III de porter la maison de Coucy au plus haut degré de splendeur. Il augmenta l’étendue de ses domaines, fit élever ce château fort dont la maîtresse tour ou le donjon frappe d’étonnement le voyageur comme l’archéologue, fit construire l’enceinte de la ville et élever les châteaux de Saint-Gobain, d’Assis, de Marie, le Châtelier de La Fère et la maison de Folembray. Enguerrand III se maria trois fois, et la dot de chacune de ses femmes vint augmenter son influence et agrandir ses domaines. Sa seconde femme, Mahaud, était fille de Henri duc de Saxe et successeur d’Othon IV empereur d’Allemagne. Il fut en guerre avec l’archevêque de Reims, prit une part glorieuse aux guerres de Philippe-Auguste contre Richard Cœur de Lion, combattit à Bouvines, fit la croisade des Albigeois et parvint à une renommée militaire européenne. Tel était l’enivrement où l’avaient plongé l’étendue de son pouvoir et l’immensité de ses richesses que, pendant la minorité de Louis IX, il osa jeter les yeux sur la couronne de France. Il s’était fait préparer déjà, dit-on, des ornements royaux dont il aimait à se couvrir devant ses favoris lorsqu’un accident, une chute de cheval, amena sa mort en 1242. Pendant le siècle suivant, le nom de Coucy est mêlé à tous les grands événements de notre histoire ; Enguerrand VII, digne représentant de la noblesse féodale, dans la guerre des Jacques, fait pendre aux arbres de ses terres les enfants et les femmes de ces malheureux paysans qu’un régime intolérable avait poussés à la révolte ; il sert d’otage à l’Angleterre pour la sûreté du payement de la rançon du roi de France après la bataille de Poitiers. Édouard III, jaloux de s’attacher un seigneur si puissant, lui donne en mariage sa seconde fille Isabelle, ajoute aux biens considérables en Grande-Bretagne qu’il tenait de l’héritage de sa grand’mère, Chrétienne de Bailleul, la baronnie de Bedford, érigée en comté plus tard, et tout le comté de Soissons, compris dans la rançon du roi, cédé par la France à l’Angleterre ; mais, à son retour, Enguerrand trouva cet accroissement de ses domaines compensé par la désolation qui régnait sur ses terres de Coucy. Il avait cruellement dompté la rébellion de ses vassaux ; mais la cause de la révolte avait subsisté, la misère avait grandi ; le découragement, le désespoir s’étaient emparés de tous les cœurs ; les terres restaient incultes ; les paysans n’avaient qu’une pensée : fuir ce sol maudit et aller chercher ailleurs un esclavage moins dur et des maîtres moins impitoyables ; le sire de Coucy, pour arrêter l’émigration du reste des habitants, se vit contraint d’accorder une charte collective d’affranchissement à vingt-deux bourgs et villages. Cet important document porte la date d’août 1368.

Ce même Enguerrand fut chargé par Charles VI de traiter avec les chefs des maillotins, dans la sédition parisienne que ce mot rappelle ; il se distingua à la bataille de Rosbecque, le 26 novembre 1382, fut un des chefs de la croisade de 1396 contre les Turcs ; il combattit vaillamment à la désastreuse journée de Nicopolis et mourut des suites de ses blessures, prisonnier de Bajazet, le 18 février 1397. En lui s’éteignit la dynastie directe des Coucy, la plus haute et la plus complète expression de la féodalité au moyen âge, dont les actes justifiaient la fière devise :

Roi ne suis,

Ne prince, ne duc, ne comte aussi :

Je suis sire de Coucy.

L’histoire du château et de la ville offre, à dater de cette époque, un bien moindre intérêt. En 1400, le 15 novembre, la terre est achetée de Marie de Coucy par Louis d’Orléans, moyennant une somme de 400,000 livres tournois, qui représenterait environ 3,500,000 francs de notre monnaie. Ce prince fit restaurer le château et l’embellit de plusieurs grandes salles bien ornées. Après lui la terre de

  1. Levergies et non pas de Vergy, comme on l’a trop souvent écrit à tort.