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XXXIX
INTRODUCTION

la Gaule à l’ouest de la Meuse, de la Saône et du Rhône ; Louis le Germanique, l’Allemagne, jusqu’au Rhin et aux Alpes. La longue bande de terre qui restait entre ces deux portions fut donnée avec l’Italie à Lothaire. Les esprits que l’unité du vaste empire de Charlemagne avait séduits gémirent de ce partage : « Un bel empire, s’écrie un poète du temps, un bel empire florissait sous un brillant diadème ; il n’y avait qu’un prince et qu’un peuple ; toutes les villes avaient des juges et des lois. Le zèle des prêtres était entretenu par des conciles fréquents ; les jeunes gens relisaient sans cesse les livres saints, et l’esprit des enfants se formait à l’étude des lettres. La nation franque brillait aux yeux du monde entier. Les royaumes étrangers, les Grecs, les barbares et le sénat du Latium lui adressaient des ambassades... Déchue maintenant, cette grande puissance a perdu à la fois son éclat et le nom d’empire ; le royaume, naguère si bien uni, est divisé en trois lots ; il n’y a plus personne qu’on puisse regarder comme empereur ; au lieu de roi, on voit un roitelet ; au lieu de royaume, un morceau de royaume. Il n’y a plus d’assemblée du peuple, plus de loi. Que vont devenir les peuples voisins du Danube, du Rhin, du Rhône, de la Loire et du Pô, tous anciennement unis par les liens de la concorde, maintenant que l’alliance est rompue ? »



LES NORMANDS. — RÉGIME FÉODAL.
DERNIERS CARLOVINGIENS.

Dans cet état de division et d’ébranlement général, l’empire de Charlemagne fut assailli par les pirates du Nord. Un jour que le vieil empereur visitait un port de la Méditerranée, il aperçut leurs barques qui s’approchaient et se mit à pleurer. Puis, voyant que les grands s’étonnaient de ses larmes, il leur dit « Savez-vous, mes fidèles, pourquoi je pleure amèrement ? Certes, je ne crains pas qu’ils me nuisent par ces misérables pirateries ; mais je m’afflige de ce que, moi vivant, ils ont manqué de toucher ce rivage et je suis tourmenté d’une vive douleur quand je prévois tout ce qu’ils feront de maux à mes neveux et à leurs peuples. » Ces pirates, sortis du Danemark, de la Suède, de la Norvège, arrivaient par flottes de barques sous le commandement d’un chef. « Le Roi de mer était partout suivi avec fidélité et toujours obéi avec zèle ; parce que toujours il était renommé le plus brave entre les braves, comme celui qui n’avait jamais dormi sous un toit de planches, qui n’avait jamais vidé la coupe auprès d’un foyer abrité. Il savait gouverner le vaisseau comme un bon cavalier manie son cheval... Égaux sous un pareil chef, les pirates danois cheminaient gaiement sur la route des cygnes, comme disent leurs vieilles poésies nationales. Tantôt ils côtoyaient la terre et guettaient leur ennemi dans les détroits, les baies et les petits mouillages ; tantôt ils se lançaient à sa poursuite à travers l’Océan. Les violents orages des mers du Nord dispersaient et brisaient leurs frêles navires, tous ne rejoignaient pas le vaisseau du chef au signal du ralliement ; mais ceux qui survivaient à leurs compagnons naufragés n’en avaient ni moins de confiance ni plus de souci : ils se riaient des vents et des flots, qui n’avaient pu leur nuire. « La force de la tempête, chantaient-ils, aide le bras de nos rameurs ; l’ouragan est à notre service, il nous jette où nous voulons aller. » Ces terribles brigands de mer remontèrent tous nos fleuves et portèrent le ravage jusqu’au cœur du pays. Il est peu de villes de France qui n’aient souffert de leur férocité. Ils pillaient surtout les riches monastères. « Nous avons chanté, disaient-ils, la messe des lances ; elle a commencé de grand matin et elle a duré jusqu’à la nuit. » Robert le Fort, ancêtre des Capétiens, fut, de tous les officiers de Charles le Chauve, le seul qui résista, entre la Seine et la Loire. La gloire qu’il acquit en protégeant le pays fut sans doute l’origine de la fortune à laquelle sa famille devait parvenir un siècle après.

L’impuissance du pouvoir central se manifesta dans ces circonstances. À vrai dire, il n’existait plus : les gouverneurs de provinces s’étaient rendus indépendants, et l’édit de Kiersy-sur-Oise, qu’ils arrachèrent à Charles le Chauve, en 877, consomma l’établissement du régime féodal en leur reconnaissant en droit d’hérédité des fiefs et des offices. Alors deviennent, en effet, héréditaires la plupart des grands fiefs de France : comtés de Toulouse, d’Angoulême, de Poitiers, d’Auvergne, de Flandre ; duchés de Gascogne, de France, de Bourgogne, etc. On compta cinquante-deux fiefs principaux, sans parler des fiefs secondaires. La couronne chancelle sur la tête des derniers Carlovingiens. Après l’éphémère et dernière réunion de tous les sceptres de Charlemagne dans la main de Charles le Gros, empereur incapable qui se laisse déposer (888), le fils de Robert le Fort, Eudes, duc de France,