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Page:Malte-Brun - la France illustrée tome I.djvu/52

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XL
LA FRANCE ILLUSTRÉE

également célèbre dans le pays par ses succès contre les Normands, est élu roi de France. Le sang de Charlemagne reparaît sur le trône avec Charles le Simple ; mais ce roi, au lieu de battre les Normands, comme Eudes, leur cède une province, la riche Neustrie, qui prend de ses nouveaux maîtres le nom de Normandie (912). Odieux aux habitants du duché de France, à cause de l’appui qu’il trouve chez les Lorrains et les Allemands et de la faveur qu’il leur accorde à sa cour, il est détrôné. Robert, duc de France, puis Raoul, duc de Bourgogne, prennent sa place. Louis IV, d’Outremer, autre rejeton carlovingien ramené sur le trône, fut éclipsé par Hugues le Grand, duc de France, comme les derniers Mérovingiens par les maires du palais. Enfin Lothaire et Louis V furent les derniers de cette lignée, à laquelle Hugues Capet substitua, en 987, la dynastie qui a porté son nom.


PREMIERS CAPÉTIENS

CROISADES. — COMMUNES.

Les Capétiens ne furent pas reconnus d’abord dans tout le Midi. Les Aquitains virent sur leurs monnaies : Deo regnante, « pendant le règne de Dieu. » Hugues Capet enjoignit au comte de Périgord de lever le siège de Tours et, le trouvant désobéissant, lui demanda : « Qui t’a fait comte ? » L’autre lui répondit : « Qui t’a fait roi ? » Les seigneurs féodaux refusaient donc de reconnaître la suprématie des nouveaux rois. Ceux-ci, réduits à un rôle modeste, eurent l’extrême habileté de s’allier étroitement avec l’Église. Hugues Capet était abbé de Saint-Denis, de Saint-Germain-des-Prés et de Saint-Martin de Tours. Son fils Robert fut un moine plutôt qu’un roi. Ce pieux souverain faisait l’aumône selon l’Évangile ; c’est cependant sous son règne que commencèrent les persécutions contre les hérétiques. Henri Ier et Philippe Ier, qui vinrent ensuite, furent des rois à peu près nuls. Les plus grandes choses s’accomplissaient autour d’eux et ils y demeurèrent tout à fait étrangers.

Ces grandes choses sont la première croisade et la conquête de l’Angleterre par les Normands. La première croisade fut un événement immense. Toute l’Europe occidentale, depuis des siècles réduite à des événements bornés et privée de toute communication avec l’Orient, s’arracha à ses fondements. Pierre l’Ermite et Godefroy de Bouillon furent, l’un le prédicateur, l’autre le général et le héros de cette gigantesque expédition. Jérusalem fut conquise et un royaume chrétien fondé en Palestine. En demeurant étrangère à cette grande entreprise religieuse de la féodalité et du peuple, la royauté fut habile sans le savoir. Bien des seigneurs périrent, bien des familles féodales furent privées de leur chef et livrées à la discorde. Au contraire, le roi resta là gardant toutes ses forces. Philippe Ier eut le bon esprit de les tourner contre les petits seigneurs du voisinage dont les donjons gênaient l’exercice de son autorité. « Beau fils, dit-il un jour à son fils Louis en lui montrant la tour de Montlhéry, garde bien cette tour qui m’a donné tant d’ennui ; je me suis envieilli à la combattre et l’assaillir ! » Louis VI, actif et intelligent, suivit le conseil paternel et guerroya aussi dans le voisinage, mais en élargissant le cercle. « Sans cesse, dit Suger, son habile ministre, on voyait le roi courir avec quelques chevaliers pour mettre l’ordre jusque sur les frontières du Berry, de l’Auvergne et de la Bourgogne, afin qu’il parût clairement que l’efficacité de la vertu royale n’est point renfermée dans les limites de certains lieux. »

Le trait le plus habile de la politique de Louis VI fut de favoriser les communes. Il n’en fut point du tout le fondateur : les communes se sont fondées elles-mêmes ; c’est le peuple qui, las de l’oppression féodale, en secoue le joug accablant et, de son propre mouvement, s’organise pour lui résister. Le régime féodal partageait la nation en deux classes : d’une part, les seigneurs, suzerains et vassaux, ceux-ci prêtant foi et hommage à ceux-là et s’engageant à certains services, mais demeurant toujours libres de refuser l’hommage et conservant à l’égard de leur seigneur suzerain toute leur dignité et presque leur indépendance ; d’autre part, les vilains et les serfs, classe misérable, sacrifiée, foulée, terrassée en vertu du droit du plus fort. Tout appartenait au seigneur, même le serf ; rien n’appartenait au serf. « Les seigneurs sont seigneurs, dit un ancien document, du ciel à la terre, et ils ont juridiction sur et sous terre, sur cou et tête, sur eau, vents et prairies. » Un autre vieux livre de droit féodal dit, au sujet des serfs : « Leur sire peut prendre tout ce qu’ils ont et les corps tenir en prison, toutes les fois qu’il lui plaît, soit à tort, soit à droit, et il n’est tenu d’en répondre à personne, fors à Dieu. » Ces droits monstrueux prévalurent tant que serfs et vilains se sentirent